Portraits d'ardéchois

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Maurice-Albert-Marie GRIMAUD


1913 - 2009


Grand serviteur de l'État, préfet de police de Paris en mai 1968

Maurice-Albert-Marie Grimaud est né le 11 novembre 1913 à Annonay (Ardèche), il est le fils de Gaston Grimaud et de Madame, née Madeleine Graffand. Son grand-père Antoine Grimaud fut maire d'Annonay de 1904 à 1919.

Il fait ses études au Collège d'Annonay, puis au Lycée du Parc à Lyon, enfin à la faculté des Lettres de Lyon et de Paris. Il est licencié ès lettres. Mais après son échec au concours d’entrée de l’École normale supérieure (qu’il regrettera toute sa vie), il intègre la fonction publique.

Entre 1935 et 1936, il milite au sein d’une petite formation de la gauche pacifiste, le Parti frontiste.

Mobilisé, il effectue son service militaire du 15 mars 1938 au 9 septembre 1940., puis de janvier à décembre 1943.

Il se marie le 19 octobre 1941 à Mademoiselle Jeanne Teilhac, le couple eut 5 enfants.

Carrière

Il commence sa carrière de Haut Fonctionnaire en tant qu'Attaché à la résidence générale du Maroc,d’abord comme précepteur du fils du résident général de France, Charles Noguès, puis à partir de 1938 comme conseiller diplomatique (janvier 1938 à mai 1942).

Il est reçu au concours de chef de cabinet de préfet (5 mars 1942).

Il travaille ensuite au commissariat à l’Intérieur à Alger, de 1943 à 1944, auprès du Gouvernement de Gaulle-Giraud.

Il est ensuite directeur de cabinet de l’administrateur général français à Baden-Baden en Allemagne, de 1945 à 1947, conseiller de l’Organisation internationale des Réfugiés (OIR) à Genève, en 1948 et 1949, délégué général pour la France, en 1950 et 1951, et directeur de l’Information à la résidence générale de France au Maroc, de 1951 à 1954.

Revenu en France, il devient en janvier 1954, Conseiller technique au cabinet de François Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur. Quelques mois plus tard il est nommé préfet des Landes (1955), puis préfet de la Savoie (1957), à ce poste il a un rôle prépondérant dans les cérémonies du Centenaire du Rattachement de la Savoie à la France.

Il est ensuite nommé préfet de la Loire en 1961, puis Directeur général de la Sûreté nationale en 1962 (au moment où éclate l'affaire Ben-Barka qui n'implique pas la police).

Préfet de Police en mai 1968

Maurice Grimaud devient Préfet de police à Paris en 1966, il l'était lors des évènements 1968. Succédant à Maurice Papon à ce poste, il fait tout pour éviter un bain de sang lors des manifestations de mai 1968. Il a raconté cette période troublée dans son livre En mai, fais ce qu'il te plaît, qui commence ainsi :

"Le 3 mai 1968 était un vendredi. Quand me réveillèrent, dans la chambre bleue de la préfecture, les cloches voisines de Notre-Dame, je devinai entre les persiennes des contrevents la limpide candeur du ciel matinal sur Paris… ".

Mai 1968 ne fut pas une succession ininterrompue d'affrontements entre jeunes et policiersbcomme on serait tenté de le croire en visionnant aujourd'hui les images conservées par les médias. Dans le récit que j'en fais quelques années plus tard (En mai, fais ce qu'il te plait, Stock 1977), j'ai indiqué que nous avions eu à faire face, pendant ces six longues semaines, à seulement neuf journées ou nuits de grande violence. Le 10 mai fut la première et en a gardé durablement le nom de "nuit des barricades".La violence y atteignit des paroxysmes, marquant une rupture inquiètante avec les manifestations relativement "modérées" des jours précédents.

Le franchissement de ce palier, qui devait donner une tout autre dimension à la "révolution" de Mai 1968, mérite qu'on revienne sur ces causes. Deux circonstances fortuites contribuèrent à transformer en drame ce qui aurait pu et dû se limiter à un affrontement du type de ceux des journées précédentes. La première fut la fâcheuse décision du Premier ministre Georges Pompidou, de maintenir son voyage en Afghanistan qui le tiendra éloigné de le France pendant les dix premières journées, décisives à bien des égards, de cette crise majeure de la V° République. La seconde résulte de la première et l'aggrave : l'intérim du Premier ministre était assuré par un homme des plus estimables, M. Louis Joxe, garde des Sceaux, que ses précédentes fonctions n'avaient guère préparé à cette lourde tâche et qui ne se sentait pas l'autorité d'un vrai chef de gouvernement. Place Beauvau, le nouveau ministre Christian Fouchet, n'avait ni l'expérience ni l'autorité de Roger Frey, auquel il avait succédé quelques mois plus tôt. Il en résulta un sensible flottement dans la gestion des évènements alors que M. Pompidou aurait sans doute évité ces tergiversations et pris rapidement, dans cette nuit mouvementée, les décisions apaisantes qu'attendaient les étudiants : la réouverture de la Sorbonne et la libération de leurs camarades condamnés à des peines de prison. Ce qu'il fit dès son retour à paris, le lendemain, mais c'était trop tard.

La dramatisation de la nuit des barricades eut un autre effet de grande conséquence : la constitution d'un front de solidarité entre les étudiants, les leaders d'une gauche jusque-là aussi désorientée que le gouvernement et les formations syndicales, soucieuses de n'être pas débordées par leurs plus jeunes éléments. Son éclatante démonstrationfut le grand défilé unitaire du 13 mai qui conduisit plus de 200 000 manifestants, de la gare de l'Est à Denfert-Rochereau, ce que l'on n'avait pas vu à Paris depuis plusieurs décennies.

Cette journée était, elle aussi, chargée de dynamite, et un rien eut pu la faire exploser. Nous avions toutes les raisons de le redouter : une immense foule, très disparate, est à la merci de provocateurs comme il s'en est tant rencontré dans la longue histoire des troubles et des révolutions en France et dans le monde. Un certaine sagesse partagée évita ces redoutables dérives. D'abord le contact pu être établi avec les leaders les plus raisonnables du mouvement syndicale.

J'eus moi-même, à sa demande, un long entretien avec un leader du Syndicat national de léducation supérieure, qui partageait mes soucis et nous convînmes de garder le contact tout au long de la journée. On connut cependant un moment de réelle inquiètude lorsque l'équipaged'un véhicule de police secours, conduisant à l'hôpital un jeune accidenté de la circulation et traversant la place Denfert-Rochereau, fut agressé par un groupe de jeunes. Le brigadier avait demandé de l'aide par radio, et déjà une équipe armée d'une compagnie de sécurité volait au secours de leurs camarades. Pierre Cot qui se trouvait parmi les leaders politiquesdu grand coirtège m'avait aussitôt appelé pour me dire que les responsables s'engageaient à assurer la sécurité de l'équipe de Police secours, alors qu'une intervention armée pouvait avoir les plus grands conséquences. On rattrapa de justesse l'équipe de secours. Le moment délicat restait celui de la dislocation du cortège. Surexcités par le succès, les plus entreprenants lancèrent le mot d'ordre : "A l'Élysée". C'était l'assurance d'affrontements redoutables. Daniel Cohn Bendit, vrai leader du mouvement étudiant et le plus populaire, sut sagement détourner ses troupes vers le Champ de Mars pour de plus calmes occupations. On dut pousser dans les deux camps un grand soupir de soulagement.

Maurice Grimaud Mai 1968
Maurice Grimaud multiplie les sorties sur le terrain et va vers les grévistes pour dialoguer. Félicitant une police "bien formée" qui a évité la multiplication des morts, il défend aussi l'attitude des manifestants, qui "gardaient de leur formation humaniste la règle impérative qu'on ne tue pas".
© Préfecture de police de Paris

Il restera dans l'Histoire comme un des acteurs de cette période, ayant eu comme souci majeur d'éviter que la crise sociale ne bascule dans un bain de sang. Son rôle de modérateur a été reconnu, et lui-même évoquait, dans une interview à l'AFP en mars 2008, la volonté qui avait été la sienne durant cette période de contrecarrer les "dérives", en résistant notamment aux tenants de "la manière forte". Il montre sa petite silhouette souvent vêtue de gris dans les manifestations, soucieux de ne pas perdre le contact avec les étudiants. Il parviendra à convaincre De Gaulle de ne pas prendre d'assaut la Sorbonne et l'Odéon : "Je tenais à ces deux points de fixation où l'on discutait".

"Policier honnête"

En 2008, modeste il avait tenu à nuancer son rôle : "Pour ma part, j'eus surtout à veiller à ce que la police parisienne ne cède pas aux tentations venues de deux côtés opposés : sur sa droite, celle des tenants de la manière forte, sur sa gauche, la tentation des plus jeunes policiers à trop écouter les appels des jeunes contestataires".

Daniel Cohn-Bendit, l'une des figures du mouvement étudiant, a rendu hommage à ce "policier honnête" qui déclara au lendemain d'une des journées les plus dures du conflit : "Frapper un manifestant tombé à terre, c'est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière" (discours aux forces de police du 29 mai 1968). Si plusieurs centaines de blessés sont recensés, aucun mort ne peut être relié aux évènements.

Il refuse d’être présenté comme un héros ayant empêché le sang de couler et souligne l’organisation de la police face à des situations d’émeutes. Maurice Grimaud reconnaissait que ses engagements de jeunesse à gauche l’avait aidé à comprendre cette révolte. Par sa relation pragmatique avec le Premier ministre Georges Pompidou, le Gouvernement n’enclenche pas une spirale répressive.

Il est nommé Secrétaire général à l’Aviation civile en 1971 (lancement du Concorde, du programme Airbus...), poste qu’il quittera en 1975 pour prendre la direction de la Régie Immobilière de la Ville de Paris de 1975 à 1978..

En disponibilité sur sa demande (8 janvier 1976).

Maurice Grimaud
Maurice Grimaud

Retraité le 12 novembre 1978.

Président de l’Union française d’investissement et de gestion (UFIMEG) (1978-81),

Président de la Fondation pour l’action culturelle internationale en montagne (FACIM) (1979-85),

Délégué-général du club Echanges et Projets (1980-1981),

Il revient à la haute fonction publique en mai 1981, en devenant le directeur de cabinet de Gaston Defferre, ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, où il prépare notamment la décentralisation (1981-1983). En juillet 1984, lorsque Pierre Joxe est nommé ministre de l’Intérieur, il suit Gaston Defferre au ministère d’État chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire jusqu’en 1986.

Il a terminé sa carrière comme Délégué général du médiateur de la République, de 1986 à 1992.

Maurice Grimaud est mort à Paris le 16 juillet 2009, à l'âge de 95 ans, il est inhumé dans le cimetière du Père Lachaise (colombarium : 87e division).

Le président Nicolas Sarkozy a salué dans un communiqué son "remarquable professionnalisme, intelligence aiguë de la situation et sang-froid exceptionnel". "Grâce à son action et malgré la complexité des événements, les opérations de maintien de l'ordre dans la capitale ont été menées à bien sans drame", a ajouté Nicolas Sarkozy.

La 60ème promotion (2008-2010) des commissaires de l'École nationale supérieure de police porte son nom.

Décoration

Commandeur de la Légion d’honneur, de l’ordre national du Mérite et des Arts et des Lettres, Médaille de l’aéronautique.

Écrits

 

"En mai, fais ce qu’il te plaît" (1977), Éditions Stock.

"Je ne suis pas né en Mai 68" (2007), Éditeur Tallandier.

"Flic ou gardien de la paix ? La police malade du pouvoir", en collaboration avec Gérard Monate, (1980), Éditeur Seuil.

Sources

 

- Who's Who in France : biographie de Maurice Grimaud.

- Société Française d'Histoire de la Police, Notice biographique Maurice Grimaud.

- En mai, fais ce qu'il te plait, Stock 1977.

- La Nouvelle Vie Ouvrière, 30 mai 2008.