Portraits d'ardéchois

Menu

Jean-François-Régis CHAUVIN


1769 - 1838


Grenadier ardéchois de la Garde Impériale

D'après l'article de Jean Bouvier

Jean-François-Régis CHAUVIN est né à Cruas le 16 décembre 1769, il est le plus jeune d'une famille de huit enfants, déjà installée à Cruas au XVIIe siècle.

Le 9 janvier 1788, à tout juste 18 ans, il s'enrôle dans le 14e régiment d'infanterie du Barrois. Pendant les années de la Révolution il est incorporé dans la 45e demi-brigade de ligne.

Le 20 avril 1792, la guerre est déclarée au roi de Bohême et de Hongrie. François II, père de la future impératrice des Français, a succédé à son père Léopold II, décédé le 1er mars, comme empereur du Saint-Empire Romain Germanique. Le Roi de Prusse mobilise aussi et entre en guerre aux côtés de l'empereur.

Le 11 juin, une nouvelle levée de fédérés est refusée par Louis XVI. Le 12 juin, Jean-François-Régis Chauvin est nommé caporal.

Le 1er février 1793, c'est la déclaration de guerre à l'Angleterre et à la Hollande, le 7 mars à l'Espagne.

Dès lors, le caporal Chauvin sera de toutes les guerres et de toutes les campagnes. Son dossier militaire décrit ses états de service : "a fait les campagnes de 1792, 1793, des ans 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, et 9 aux différentes armées".

Le 20 ventôse an IX (10 mars 1802), il entre à la garde (plus tard appelée Garde Impériale) comme grenadier à pied, et il poursuit son périple… "l'an XII et partie de l'an XIII aux côtes de l'océan, les deux (campagnes) de l'an XIV à la Grande Armée, 1806 et 1807 en Prusse et Pologne, 1808 en Espagne, 1809 en Allemagne".

Le 14 avril 1807, peu après la bataille d'Eylau, qualifiée "d'inutile boucherie dans une tempête de neige", il est nommé membre de la légion d'honneur "en témoignage de la bienveillance de Sa Majesté Impériale et Royale et de la reconnaissance de la nation", sous le n° 15317.

Après avoir parcouru dans tous les sens l'Europe à pied, il est déclaré "hors d'état de continuer le service" et admis à la retraite le 10 janvier 1810, après 22 ans et un jour de service et 17 campagnes.

Lorsque le grenadier Jean-François-Régis Chauvin est mis en invalidité pour rupture de l'aponévrose poplitée et faiblesse générale de l'articulation du genou gauche, il vient juste d'avoir 40 ans. Il annonce son intention d'aller s'établir à Chartres mais nous le retrouvons en 1825 domicilié 64 rue de Sèvres à Paris, marié à Marie-Rose-Françoise Forestier.

Au cours des dernières années, Chauvin et Napoléon n'ont connu que la victoire. Il n'est pas besoin de beaucoup d'imagination pour voir notre grognard prématurément réduit à l'inaction forcée, commenter avec passion, en compagnie de quelques camarades, les campagnes et les évènements. Il peut tout d'abord assister au mariage de Napoléon et Marie-Louise le 1er avril 1810, entendre le 20 mars de l'année suivante les 101 coups de canon annonçant la naissance de leurs fils, François-Charles-Joseph Napoléon, proclamé Roi de Rome et baptisé le 9 juin à Notre-Dame au cours de "la cérémonie la plus fastueuse que la France ait jamais vue et qui coûtera au trésor 2 millions de francs". L'empire est alors à son apogée.

Mais vont venir les années sombres ! Conspiration du général Mallet, campagne de Russie, d'Allemagne, invasion de la France ; Napoléon remporte encore des victoires mais ne peut empêcher les Autrichiens d'entrer à Lyon le 21 mars 1814 et les armées alliées à Paris, 10 jours plus tard.

On peut sans peine concevoir les sentiments et les propos de l'ancien grenadier de la Garde Impériale à la vue d'uniformes de soldats qu'il avait affrontés et vaincus sur tous les champs de batailles d'Europe, son dépit d'apprendre que Napoléon, alors que la fidélité et le dévouement des soldats étaient à toute épreuve, abdiquait, parce que, au dire même de l'Empereur "les hauts généraux n'en voulaient plus".

Dût-il pester encore contre son genou qui l'empêchait de reprendre du service auprès de son ancien général et de bouter l'ennemi hors de France !

Traînant la jambe dans les rues et les cafés de son quartier avec d'anciens militaires, invalides comme lui, pensionnaires de la rue de Sèvres, il se fit remarquer par son emphase et sa faconde au point de se faire une renommée qui retint l'attention des frères Cogniard, auteurs dramatiques.

Le 29 septembre 1838, la veuve Chauvin, illettrée, doit faire appel à un écrivain pour adresser au Grand Chancelier de la Légion d'Honneur la déclaration de décès de son époux survenu le 22, et demander le paiement des arrérages qui sont désormais ses seules ressources : "Il a succombé à la suite des plus cruelles souffrances et d'une maladie occasionnée par les fatigues de la guerre et les diverses blessures reçues sous les drapeaux où il a servi pendant 23 ans pour défendre son Souverain et son Pays, où sa conduite sans reproche aussi bien que sa bravoure lui ont fait accorder le titre de chevalier de la Légion d'Honneur…"

On notera l'habileté avec laquelle l'auteur de cette lettre a évité l'emploi du terme empereur, mal perçu par les Bourbons de retour sur le trône, en utilisant à sa place le mot "Souverain".

Naissance du chauvinisme

La figure de Chauvin a marqué au point que l'épithète a même donné un substantif, le "chauvinisme".

Ceux qui l'ont rendu célèbre

Le personnage est apparu en 1831, dans le vaudeville en trois actes, "La Cocarde Tricolore", que les frères Cogniard, Charles-Théodore né le 30 avril 1806 et Jean-Hippolite né le 29 novembre 1807, auteurs de pièces de théâtre, directeurs du théâtre Les Folies Dramatiques firent représenter pour la première fois le 19 mars 1831. Cette représentation théâtrale raconte un épisode de la guerre d'Alger, dans le genre comique-troupier. Le personnage nommé Chauvin, est un patriote naïvement exalté de l'Empire jusqu'à l'exagération : " J'suis Français, j'suis Chauvin et j'tape sur l'bédouin !". Il correspond moins à un personnage réel qu'à une tradition narrative.

Le soldat Chauvin fait prisonnier le dey qui avait frappé l'ambassadeur de France de son chasse-mouches et s'empare de son sérail, action d'éclat que lui-même relate avec force calembours :
"Je voudrais encore en découdre avec le dey, avec ce dey bouché…"
"Les chevaux d'notr'caval'ri' légère, voulaient tous prendr' le mors aux dents…"
…"J'ai, grâce à ma vaillance, pris la sultane et rossé le dey".

Comme Jean-Fraçois-Régis Chauvin et comme Marie-Rose Forestier, illettré, il doit avoir recours à un intermédiaire pour sa correspondance et annoncer qu'il vient d'être fait caporal :
"…J'écris d'la main de notr' tambour".

Le chauvinisme

Par la suite la légende s'empara du personnage et de son nom pour en faire l'archétype du héros patriotique ou nationaliste. En fait, il n'est pas le seul Chauvin à pouvoir prétendre donner son nom au chauvinisme comme le montre un article écrit par Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète.

---

Le terme "chauvin" d'abord attesté avec la valeur positive de "soldat valeureux", a évolué vers sa valeur négative actuelle, "qui manifeste un patriotisme, un nationalisme fanatique".

 

Le mot chauvinisme s'est répandu dans toutes les langues : anglais, chauvinism ; allemand : chauvinismus ; italien : sciovinismo ; espagnol : chauvinismo ; polonais : szowinism ; tchèque : socinismus ; on le trouve en japonais, en chinois et en népalais.

 

Sources

- "Un Ardéchois à Paris, le caporal Chauvin", collection "Le Saviez-Vous ?" par Jean Bouvier, Envol n° 488, mars 1999.

- "La Cocarde Tricolore, épisode de la guerre d'Alger", par MM. Théodore et Hippolite Crogniard, Bezou Libraire , Paris 1831.