Aigle impérialJean-Nicolas CORVISART DES MARETS

1755 - 1821

Premier médecin de Napoléon

La méthode du futur médecin personnel de l'Empereur est simple: elle vise à ne s'interesser qu'à la maladie, en se préoccupant le moins possible de la personne et de la personnalité qui la subissent. C'est la reconnaissance symptomatique qui inaugure l'acte médical, alors que l'autopsie réglera les incertitudes

Jean-Nicolas Corvisart est né le 15 février 1755 à Dricourt, canton de Machault, dans les Ardennes. Vieille famille ardennaise anoblie en 1669. Son père, procureur au Parlement de Paris, s'était retiré dans sa propriété de Dricourt, lors d'un de ces exils du Parlement, fréquents à cette époque.

Le jeune Jean-Nicolas quitte très tôt son village natal, pour se rendre à Vimille, près de Boulogne sur Mer, chez un oncle maternel, curé de l'endroit, qui lui enseigne les lettres françaises et latines. Lorsqu'il a 12 ans, il entre au collège Sainte-Barbe. Son père le destine au barreau. Mais, après avoir rencontré le professeur Antoine Petit, le jeune Jean-Nicolas préfère les cours de l'Ecole de médecine. Son père lui ayant coupé tous subsides, il s'engage comme infirmier à l'Hôtel-Dieu. Par la suite, son père se ravise et, en 1782, Jean-Nicolas Corvisart est docteur régent de la Faculté de Paris.

Ancien élève d'Antoine Petit (1722-1794), le "seul docteur de Paris qui sache opérer et accoucher" , puis de Pierre-Joseph Desault, chirurgien en chef de l'IHôtel-Dieu, créateur de la Clinique Chirurgicale, de Desbois de Rochefort, médecin en chef de la Charité; mais également de Vicq d'Azyr et Portal. Il obtient la première place, lors de l'obtention de sa licence. Il prononce son discours d'admission sur le thème "les agréments de l'étude de la médecine et les désagréments de la pratique".

Le 14 novembre 1782 il reçoit le titre de docteur-régent de la Faculté, mais comme il se refuse à porter la perruque, on lui interdit d'entrer comme médecin à l'Hôpital des Paroisses (actuel hôpital Necker, récemment fondé par la fille du Ministre des Finances de Louis XVI) et il doit accepter un poste dans un Hôpital pour pauvres du quartier de Saint-Sulpice. En même temps, il fréquentait assidûment le service de Dumangin à l'hôpital de la Charité et se liait d'amitié avec le médecin en second Desbois de Rochefort. Aux côtés de cet homme exceptionnel, grand admirateur de Boerhaave, pourfendeur acharné des méthodes de la vieille Faculté, il avait commencé à se plier aux disciplines exaltantes de la médecine anatomoclinique dans laquelle il voyait la voie de l'avenir.

Chaque matin il parcourt les salles avec ses élèves après quoi il leur fait une leçon magistrale à l'amphithéâtre. le diagnostic est l'objet de ses préoccupations les plus attentives; il perfectionne le procédé de la percussion imaginé par Auenbrugger en 1761. Chaque fois qu'il en a l'occasion l'autopsie confirme son diagnostic.

A la mort de Desbois de Rochefort, survenue en 1786, Corvisart avait recueilli son héritage spirituel et relevé le flambeau. Il était ainsi devenu le représentant officieux de l'école nouvelle et bien qu'occupant toujours un poste subalterne dans le service de Dumangin, faisait déjà figure de maître. Nous sommes en 1788, Corvisart venait à peine de passer sa thèse de Doctorat lorsqu'il succède à Rochefort médecin titulaire de l'hospice de la Charité, où il va entreprendre des réformes radicales, y faire régner une discipline de fer. Il y est nommé rapidement professeur de pathologie, puis de physiologie. Parmi ses nombreux élèves, on note Laennec.

Période révolutionnaire

Sa carrière avait été particulièrement brillante et plaidait en sa faveur. Après avoir renoncé, à sa sortie de la Faculté, à un poste de médecin de l'Hôpital des Paroisses (actuel hôpital Necker, récemment fondé par la fille du Ministre des Finances de Louis XVI) sous prétexte qu'il refusait de porter perruque, il avait pendant quelque temps exercé les fonctions de médecin des pauvres de la paroisse Saint-Sulpice aux appointements annuels de 100 écus (300 francs). En même temps, il fréquentait assidûment le service de Dumangin à l'hôpital de la Charité et se liait d'amitié avec le médecin en second Desbois de Rochefort.

A la mort de Desbois de Rochefort, survenue en 1786, Corvisart avait recueilli son héritage spirituel et relevé le flambeau. Il était ainsi devenu le représentant officieux de l'école nouvelle et bien qu'occupant toujours un poste subalterne dans le service de Dumangin, faisait déjà figure de maître.

Pendant la période révolutionnaire,Corvisart s'était prudemment abstenu de prendre une position politique compromettante. Dans le vénérable hôpital de la Charité, devenu par décision des membres de la Commune de Paris l'hôpital de l'Unité, alors qu'un peu partout les vieilles institutions s'écroulaient et que s'installait un état de fait proche de l'anarchie, il s'employait à entretenir autour de lui un climat de confiance et d'espoir.

Un décret de l'Assemblée législative de 1792 ayant supprimé toutes les corporations enseignantes, toutes les Facultés de Médecine, Collèges de Chirurgie et un Collège de Pharmacie disparaissent ainsi que l'Académie de Chirurgie et la société Royale de Médecine et avec elles toutes les sociétés scientifiques. Dès lors la profession médicale n'ayant plus de défenseur, elle se trouve livrée à un charlatanisme sans retenue.

Le 8 août 1793, la Convention nationale votait "la suppression de toutes les académies et sociétés littéraires ou savantes patentées ou dotées par la Nation". Moins d'un mois plus tard, elle décrétait "la dissolution et la fermeture des Facultés et organisations enseignantes". Le vieil édifice universitaire s'effondrait. La médecine, comme les autres professions, échappait ainsi à tout contrôle et pouvait être exercée désormais sans diplôme. Une telle situation ne pouvait qu'engendrer l'anarchie.Corvisart des Marets

Vers la fin 1794, les études médicales sont peu à peu réorganisées. C'est ainsi que vont naître les écoles de Santé de la Révolution, prélude des futures Facultés de Médecine et de Pharmacie. lors de la création de l'École de médecine, instituée par décret du 14 frimaire an III (4 décembre 1794).

En 1795, à la création de la nouvelle école de Santé de Paris, Corvisart fut recruté comme professeur pour la Clinique Médicale interne en remplacement d'Antoine Petit mort l'année précédente. Convaincu de la nécessité d'une observation rigoureuse des symptômes, il met au point une méthode de médecine clinique. Les étudiants, mais également les médecins français et étrangers, se pressent à ses cours.

Maintenant qu'il est médecin-chef d'un grand hôpital parisien, il ambitionne de faire pour la médecine ce que son maître Desault a fait pour la chirurgie; il fonde en 1795, l'école de Clinique Médicale.

Afin de propager ses idées et de leur donner plus de force, il fut l'un des animateurs de la "Société médicale d'Émulation", créée le 6 messidor An VI (24 juin 1796) par un groupe de jeunes médecins pour discuter de tous les problèmes touchant l'exercice de leur art, et prit en 1801 la direction du "Journal de médecine, chirurgie et pharmacie" dont les colonnes étaient ouvertes aux représentants les plus qualifiés du monde universitaire et hospitalier.

Le 9 thermidor An V (27 juillet 1797) une nouvelle loi faisait entrer les Écoles de Santé dans le cadre de la nouvelle Université. En même temps, le statut des professeurs était modifié, l'importance des chaires de clinique renforcée, les modalités des examens précisée. En 1797, il acquiert une immense réputation, Professeur, il enseigne au Collège de France. A l'Hôpital de La Charité, il réorganisera complètement son service en donnant la priorité à l'observation du malade au lit et à l'anatomie pathologique; il y fera d'ailleurs construire un amphithéâtre d'anatomie.

Période consulaire

C'est alors que Joséphine de Beauharnais, qui l'a connu chez Barras, le présente, en juillet 1801, au Premier Consul (certains disent que la rencontre eu lieu chez Barras). On sait la méfiance de ce dernier vis à vis des médecins. Pourtant, Corvisart parvient à gagner la confiance du Premier Consul, ses manières tranquilles et la sûreté de son diagnostic séduisent immédiatement Bonaparte qui déclara après avoir rencontré Corvisart : "Je vis qu'il avait compris ma nature et qu'il était le médecin qui me convenait". Il se l'attache comme premier médecin, charge assortie d'appointements confortables, et le couvre d'honneurs.

Le général Bonaparte, premier consul après l'avoir consulté voyait beaucoup plus loin. Quelques jours plus tard, en effet, le 21 messidor An IX (10 juillet 1801), Corvisart était nommé Médecin du gouvernement et chargé à ce titre d'assister les Pouvoirs publics dans leur lutte contre les épidémies et toutes les maladies contagieuses. Il devenait ainsi l'équivalent d'un véritable ministre de la Santé.

Les aphorismes recueillis à l'hôpital de la Charité, en 1802 (an X), par Laennec aux leçons de son maître Jean-Nicolas Corvisart, sont consacrés pour une large part à la cardiologie. Ils illustrent les méthodes d'enseignement de Corvisart et permettent surtout de discerner ses conceptions médicales fondées sur la finesse de l'étude sémiologique, la rigueur de l'examen clinique, l'analyse des symptômes et leur confrontation avec les donnés anatomiques, ouvrant ainsi l'ère de la méthode anatomo-clinique et d'une nouvelle médecine, que devait poursuivre et amplifier son élève Laennec. Ils témoignent aussi du sens clinique de Corvisart et de la prémonition qu'il a eue de pathologies, notamment cardiaques, qui devaient être identifiées beaucoup plus tard.

Sous son impulsion, ou avec son approbation, un certain nombre de réformes importantes purent être réalisées: loi du 19 ventôse An XII (10 mars 1803) mettant fin à la liberté d'exercer la médecine sans diplôme, décret sur la police de la médecine et de la pharmacie, loi réglementant la préparation et la vente des médicaments, décision de créer un concours d'élèves-internes des hôpitaux chargés de surveiller les malades en l'absence du "patron", toutes dispositions, il faut en convenir, encore en vigueur aujourd'hui.

Recommandé par plusieurs membres de l'entourage de Bonaparte, et par Joséphine elle-même, il parvient à gagner la confiance du Consul qui se méfie des médecins, et à dissiper ses malaises par un régime alimentaire strict (1801). Pendant une dizaine d'années, Corvisart est proche de Napoléon. Le 14 juillet 1804, il le nomme Officier de la Légion d'honneur. Premier médecin de sa Majesté Impériale le 19 juillet 1804.

Lorsque le premier Consul constate que son épouse ne peut lui donner d'héritier, Corvisart établit que Joséphine est responsable de cette stérilité et la soumet à un traitement.

Période de l'empire

Après le sacre du 2 décembre 1804, Corvisart accompagne l'Empereur en Italie en 1805, puis en Autriche en 1809. Il est fait Baron Corvisart des Marets et de l'Empire par Napoléon 1er en 1805, avec une dotation de dix mille francs et aura le titre de Premier Médecin de l'Empereur qu'il va suivre pendant dix ans. Corvisart_Essai

Le praticien soigne également Joséphine. L'Impératrice ne cessant de réclamer des médicaments Corvisart lui prescrit des pilules qui ne sont que de la mie de pain enveloppée dans du papier d'argent.

L'un de ses ouvrages les plus considérables est un Essai sur les maladies et les lésions organiques du cœur et des gros vaisseaux qui parut en 1806.

Corvisart participe en 1808 à la vulgarisation de l'usage de la percussion en traduisant le livre de Leopold Auenbrugger sur la percussion et permet à ce travail d'acquérir la réputation qu'il méritait.

A Vienne en 1809, il annonce à l'Empereur la grossesse de Marie Walewska. La même année, le 30 novembre, le médecin de l'Empereur soigne Joséphine qui, lorsque son époux lui annonce son intention de divorcer, feint l'évanouissement. Quelques jours plus tard, lorsque l'Impératrice s'évanouit réellement après avoir annoncé officiellement qu'elle consent au divorce, le baron Corvisart se rend à nouveau à son chevet.

Comblé d'honneurs par l'Empereur, le médecin entre à l'Institut en 1811 et à l'Académie de médecine en 1820, il appartint à presque toutes les sociétés savantes de l'Europe. Bien qu'ami de Joséphine il sait gagner la confiance de Marie-Louise dès son arrivée en France, il suit sa grossesse et aide plus tard Dubois, à accoucher l'Impératrice le 20 mars 1811.

Membre et officier de la Légion-d'Honneur les 26 frimaire et 25 prairial an XII, il devint baron de l'Empire à l'institution de la nouvelle noblesse en 1808, et fit partie de la première nomination des commandeurs de l'ordre de la Réunion le 29 février 1812.

Corvisart sombre dans la mélancolie. A la nouvelle de l'abdication, en 1814, Corvisart choisit de rester auprès de l'impératrice Marie-Louise, l'accompagne à Blois puis à Vienne, mais en repart le 20 mai, préférant ne pas s'attarder dans la capitale autrichienne. «Vous me demandez si j'ai trouvé dans mes voyages plaisir et santé : j'ai rencontré tout l'opposé et je n'en ai point été surpris. J'ai passé le temps des plaisirs et la circonstance, ni le lieu n'étaient guère propres à les faire renaître». Il évoque ses problèmes de santé : "Il y a plus de quinze ans qu'elle est attaquée sans relâche par les maux qui suivent aujourd'hui une progression effrayante". Aussi a-t-il renoncé à la médecine, s'est installé à la campagne et ne revient que rarement à Paris. "C'est encore là que je m'ennuye le moins des autres, de moi et de la vie : je m'enferme ou je me promène seul tant que je le pourrai". Enfin, il évoque la santé de sa correspondante et l'engagement de son fils dans la cavalerie, lui prodiguant quelques conseils. lettre autographe signée. A la veille de son embarquement pour l'île d'Elbe, Napoléon lui témoigne sa satisfaction de sa conduite :

"J'ai vu avec plaisir la bonne conduite que vous avez tenue dans ces derniers temps où tant d'autres se sont mal conduits. Je vous en sais gré et cela confirme l'opinion que j'avais conçue de votre caractère. Donnez-moi des nouvelles de Marie-Louise et ne doutez jamais des sentiments que je vous porte; ne vous livrez pas à des idées mélancoliques et j'espère que vous vivrez encore pour rendre des services et pour vos amis".

Redevenu premier médecin de Napoléon aux Cent-Jours, il se retire après Waterloo. Il sera l'un des derniers à saluer Napoléon avant son départ pour Rochefort.

Le nombre de ses disciples ne cessant de s'accroître il contribua ainsi dans une large mesure à former toute une génération de médecins avides de nouveauté et d'efficacité. Beaucoup d'entre eux devaient devenir célèbres si bien que quarante ans plus tard, l'un des membres de l'Académie royale de Médecine fondée en 1820 par Louis XVIII pourra fort justement déclarer que la plupart des membres de la savante compagnie avaient été ses élèves. Il pouvait s'honorer d'avoir dirigé les premiers pas d'un Laënnec, l'inventeur du stéthoscope et l'immortel auteur du Traité de l'auscultation médiate, d'un Bichat, l'un des plus grands anatomistes et physiologistes de tous les temps, d'un Dupuytren, chirurgien prestigieux et clinicien habile, d'un Broussais, l'ardent défenseur de la théorie de la "médecine physiologique", d'un Bayle, qui devait lui succéder un jour dans sa chaire de clinique interne et reprendre ses études sur les maladies du coeur, d'un Bouillaud, qui allait donner son nom à la maladie rhumatismale, et de tant d'autres.

Jean-Nicolas Corvisart meurt le 18 septembre 1821 à Courbevoie, après plusieurs attaques d'apoplexie, cinq mois après son impérial patient. Il repose dans le cimetière d'Athis-Mons dans le département de l'Essonne. Deux de ses descendants reposent dans le même caveau : Lucien, baron Corvisart, médecin de Napoléon III ; Scipion, général, qui prit part à la bataille de Verdun en 1917.