Promenades en Ardèche

Menu

Le Vivarais protestant

Dans les pas des Huguenots

Protestant ou catholique, l'Ardéchois a mené un combat incessant pour affirmer sa foi.
Bible

"Il est impossible de parler de l’Ardèche, de quelque point de vue que ce soit, sans accorder une place importante au facteur protestant" André Siegfried - Historien, géographe.

Martin Luther
Martin Luther (1483 - 1546

 

Le Christianisme fut introduit en Vivarais à la fin du IIe siècle. Saint-Andéol, vaillant évangéliste, venu de Smyrne, y meurt martyr en l'an 208. D'autres missionnaires, Saint-Fortunat entre autres, continuent son œuvre. Les prêtres et moines parviennent peu à peu à évangéliser les montagnes vivaroises.

L'année 1517 est considérée comme l'année de naissance de la Réforme, à Wittemberg en Saxe, lorsque Martin Luther (1483-1546), moine allemand, proposa 95 thèses de réforme de l'église catholique romaine, son église, dont il était docteur en théologie, dont la publication marque le début de la Réforme. Il traduit la Bible en allemand, "la langue du peuple".

En 1517, Martin Luther se retrouve à la tête d'une nouvelle religion, qu'il lui faut organiser.

• Il prône un retour aux sources de la foi chrétienne : Bible, Foi, Grâce. Il est favorable à l'élection des pasteurs par des communautés, la messe en allemand (et non en latin)….

• Il refuse tout ce que la tradition romaine a ajouté à ces sources, notamment la papauté, le culte des saints et de la Vierge, les vœux monastiques et le célibat des prêtres. Son excommunication en 1521 signa la création d'une nouvelle église indépendante de Rome.

 

 

Jean Calvin
Jean Calvin (1509 - 1564)

 

Une génération après Luther, la Réforme se poursuit avec le Français Jean Calvin (1509-1564) qui cherche à organiser et à structurer théologiquement la nouvelle Église. Les réformés sont aussi appelés protestants.

Il reçoit une formation d'humaniste et adhère à la Réforme vers 1533, condamnée en France comme hérésie. Réfugié à Bâle, il publie son ouvrage majeur, l'"Institution de la religion chrétienne" (Institutio Christianae Religionis). Nommé pasteur à Genève, la place politique décisive qu'il donne à l'Église le fait bannir de la ville. Il part pour Strasbourg en 1538 et devient pasteur des réfugiés français. Rappelé à Genève en 1541 où il demeure jusqu'à sa mort, il organise théologiquement la nouvelle Église, lui donnant une image d'austérité. Calvin recourt parfois à la force pour réduire les opposants à l'exil ou au bûcher. Il est aussi l'un des premiers écrivains en français, langue qu'il choisit pour faciliter la propagation de ses idées caractérisées par la rigueur, la logique et la clarté. En 1559, son effort d'organisation religieuse aboutit au synode de Paris qui publia quarante articles résumant la doctrine réformée.

En Angleterre, le roi Henri VIII (1491 - 1547) se sépare de Rome et crée ainsi l'Église anglicane dont il devient le chef.

En France, les rois (François Ier, puis son fils Henri II) tolèrent ces pensées. Mais dans la seconde moitié du règne de François Ier, les protestants de France sont persécutés jusqu'au règne d'Henri II. À sa mort, sa femme, Catherine de Médicis, tente de faire accepter les protestants. Mais en 1562, des réformés ( luthériens) sont tués

Certains souverains, comme le roi de France, refusent que leurs sujets pratiquent une autre religion que la leur. Au milieu du XVIe siècle, commence une terrible période d'intolérance religieuse et de guerres au nom de la religion.

L'Ardèche qui était à l'époque la province du Vivarais, adhère au protestantisme, dans sa version calviniste, à cause de sa proximité avec Genève.

Gravure XVI e siècle
Gravure du XVIe siècle illustrant la division entre catholiques et protestants ; la Bible sur la balance penche nettement en faveur des protestants

 

I - Les idées de la Réforme (1528 - 1559)

La Réforme, prêchée dés 1528, se répand rapidement dans la plus grande partie du Vivarais. Une terre marquée profondément par le protestantisme et qui a gardé le souvenir de l'histoire mêlée de violence et d'enthousiasme du peuple huguenot, de son combat pour le droit à la tolérance et à la différence.

Dans les années 1540, la papauté entreprend de réformer l'Église et de lutter contre les progrès du protestantisme. Cette contre-Réforme, débute avec la réunion du concile de Trente convoqué par le pape Paul III en 1545. Les idées de Luther et de Calvin y sont fermement condamnées.

Les guerres de religion, l'Édit de Nantes, le siège de Privas en 1629, puis le "Désert" ont, à la fois concentré et consolidé l'implantation protestante.

En 1528 un premier signe de la Réforme apparaît à Annonay : le moine luthérien Étienne Macheville (Machopolis), "qui avait pris la peine d'ouïr Martin Luther, en personne, au pays de Saxe", y prêche contre les abus et superstitions de l'Église. Un de ses successeurs, Étienne Rénier est arrêté et brûlé vif à Vienne dans la Drôme.

Entre 1528 et 1559, les idées de la Réforme pénètrent en Vivarais. Des Églises sont "dressées" à Aubenas ; Villeneuve-de-Berg ; Viviers ; Privas ; Meyras ; Thueyts ; Macheville, entre 1560-1562 ; à Annonay, 1561-1562 ; à Largentière et Uzer, 1561 et 1562. En 1534, des foyers d'"hérésie" sont signalés à Privas et au collège de Tournon.

II - Les guerres civiles ou guerres de religion (1562 - 1598)

Durant cette période, les Catholiques se battent contre les les Calvinistes Huguenots pour le contrôle de la monarchie. La faiblesse des deux rois Charles IX (r.1560-1574) et Henry III (r.1574-1589) a permis des rivalités aristocratiques contre les lignes religieuses. La minorité des Huguenots, menée par Gaspard de Coligny (1519 - 1572) et Louis Ier de Bourbon-Condé (1530 - 1569), fut supportée de 1562 à 1576 par des armées Protestantes dans leur conflit avec le pouvoir Catholique. Un temps il sembla que la France allait devenir protestante.

Dans la première moitié du XVIe siècle, les Réformés deviennent un parti politique. Une main mise protestante s'effectue sur les grandes villes : Privas, Aubenas, Annonay. On se dispute principalement les nœuds routiers comme le Pouzin et Baix. Les états du Vivarais se scindent en États catholiques et États protestants. Deux gouverneurs se partagent le pouvoir. En 1569, les protestants occupent la moitié du Vivarais.

En 1561, Annonay, Aubenas, ont des pasteurs. Des communautés réformées se développent à Chalencon, Lamastre, Vernoux, Villeneuve-de-Berg.

Le 1er mars 1562, 200 protestants du village de Wassy (ou Vassy) en Champagne, sont surpris par les soldats du duc François II de Guise (1519 - 1563) pendant le déroulement d'un office religieux.
Après l'échec d'une tentative de conciliation du roi Charles IX, ces soldats sont remontés contre les protestants. Ils massacrent sauvagement les paysans.
C'est le début des guerres de religion qui affecteront la France pendant plus de trente ans.

A divers reprises des trêves, accords et traités particuliers furent conclus, entre les deux partis, une succession de huit guerres se dérouleront en Vivarais:

• Première guerre (1562-63) : Condé. Annonay et Montluc. Tournon, Viviers, Bourg-Saint-Andéol, Largentière. Annonéens à Saint-Étienne. Saint-Chamond s'empare de leur ville. Excès. Affaires à Aubenas, Bourg-Saint-Andéol, Beaumont, Sablières. Reprise d'Annonay. Pacification d'Amboise. Relèvement d'Annonay. Prise de Viviers par Saint-Alban, 1563-67. Siège du Puy par Blacons. Réformés fugitifs au Puy. Jacques Guitard. Émeutes. Culte au Puy…

• Deuxième guerre (1567-68): Paix à Annonay. Prise de Viviers. Siège de Tournon. Prise de Saint-Agrève

• Troisième guerre (1568-70): Saint-Romain et Changy à Annonay et saccages. En 1570, l'amiral de Coligny, venant du Languedoc, et allant vers le nord de la France, traversa le Vivarais avec ses troupes. Il séjourna à Charmes quelques jours et, par Lamastre, se dirigea vers le Velay. Siège de Montélimar. Prise de La Chartreuse de Bonnefoy.

• Quatrième guerre (1572-73): Catherine de Médicis et les Guises persuadèrent Charles IX à autoriser un programme d'éradication, et dans la nuit du 23 au 24 août 1572, c'est plus de 50 000 huguenots qui furent égorgés au cours du massacre de la Saint-Barthélemy. C'est le jour le plus noir des guerres de religion entre catholiques et protestants qui ont ensanglanté le pays. S'il n'y eut pas de trop graves répercussions en Vivarais, les riverains du Rhône purent voir passer les cadavres des huits cents protestants qui, à Lyon, avaient été mis à mort et jetés dans le fleuve.
Villeneuve-de-Berg, Aubenas, Privas. Du Peloux à Annonay. Attaque de Chalencon par les protestants. Prise du Pouzin en 1573 par le dauphin d'Auvergne. Succès des huguenots dans le Haut et le Bas Vivarais. Vacheresses.

Tour de Mirabel:
Après la Saint-Barthélemy (23-24 août 1572), une partie des réformés chassés de Villeneuve-de-Berg vint se réfugier à Mirabel, qui resta une place forte huguenote tout au long des guerres de Religion. Les seigneurs protestants d'Arlempdes et les seigneurs catholiques de La Roche des Astars possédaient alors chacun l'un des deux châteaux. Le château de Mirabel jouait alors un rôle stratégique pour les protestants et assurait le passage des Huguenots vers le Dauphiné et la Suisse car il était possible de rejoindre Privas, via la vallée de l'Auzon, en évitant le col de l'Escrinet et la vallée du Rhône tenus par les catholiques. Ce fut effectivement de cette manière que Rohan secourut à deux reprises Privas, en 1621 et en 1628. Aussi les 4 000 hommes de Montmorency, aidés de quatre canons, vinrent-ils réduire la place forte protestante en juin 1628. Les deux châteaux et les remparts du village furent alors démantelés. Seul subsista le donjon du château des La Roche des Astars, seigneurs catholiques.

• Cinquième guerre (1574-76): De nombreuses trêves et accords furent conclus en Vivarais. Le plus important fut le traité de La Borie (1575), par lequel les signataires voulant mettre fin aux souffrance du "pauvre peuple", s'entendent pour cesser les hostilités "jusqu'à ce qu'il ait plu à Dieu de réconcilier pleinement les cœurs des uns et des autres par le bénéfice d'une paix générale."

Annonay. Troupes de Rochegude. Supplice d'Erard. Andance. Combat de La Prat. Prise du Pouzin, de Baix, Viviers.

• Sixième guerre (1577): Mort de Bouchet. Trève de Largentière.

• Septième guerre, 1580: Alerte au Puy. Prise de Saint-Agrève par Vidal. Châtillon à Pradelles

• Huitième guerre (1585-89): Famine et peste. Siège de Cruas. Siège de Cruas. Expéditions de Chambaud. Prise d'Aubenas par les catholiques. Retraite de Châtillon. Faits de guerre de Chambaud. Reprise d'Aubenas par les protestants. Pacification du Vivarais. Pillage de Montfaucon. Supplice des conjurés. Echec de Chambaud à Pradelles. Reddition à Saint-Agrève. Agrain et Arlempes.

Un important Synode se tint à Saint-Fortunat en 1596. Plusieurs Eglises se trouvant vacantes, l'on demande aux pasteurs des Églises voisines de leur consacrer une partie de leur ministère.

III - Régime de l'Édit de Nantes (1598 - 1685).

L'Édit de Nantes (1598)

Le 30 avril 1598, après trente ans de guerres de religion, l'Édit de Nantes, voulu et signé par Henri IV, reconnaît 75 lieux de culte aux protestants en Vivarais avec 16 pasteurs et accorde aux protestants, pour huit ans, quelques places de sûreté : Annonay (Velay et Haut-Vivarais), Privas (Boutières et Moyen-Vivarais), Aubenas (Bas-Vivarais), Le Cheylard, Vallon, et Baix.

Un des Synodes nationaux eu lieu à Privas en 1612.

La reconquête de Louis XIII (1610 - 1629)

Après l'assassinat d'Henri IV le 14 mai 1610, les campagnes militaires de Louis XIII réduisent progressivement le pouvoir des protestants. L'armée protestante du duc de Rohan affronte les troupes royales de 1621 à 1629. Trois nouvelles guerres religieuses se déroulent en Vivarais.

• Première guerre (1619-1622). Combat de Mirabel. Destruction du château de Privas, par les privadois, suite au mariage de la protestante Paule Chambaud avec un seigneur catholique Claude de Hautefort, vicomte de Cheilane, fils de René Baron de Lestrange. Vals. Brison. Montmorency. Prises de Crussol par les catholiques, Toulaud par les protestants. Ventadour. Salavas et Chalanqui. Mort du baron de Lagorce. Rochemaure. Reprise du Pouzin en 1622 par Lesdiguières. Baix à Lesdiguières. Courses de Guy et Peschaire et leur mort. Combat de la Claduègne. Dès 1622, interdiction d'enterrer les protestants de jour.

• Deuxième guerre (1625-1627): serment de fidélité des Églises. Expulsion de Mirabel. Le Pouzin. Chomérac. Échec à Saint-Pons.

• Troisième guerre (1627-1629). Brison. Le Pouzin : reprise par Brison qui la vend au roi en 1626, elle se rend au duc de Rohan en 1628. Mais elle est alors assiégée et détruite pour la troisième fois par le duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc. Soyons. Charmes. Beauchastel. La Voulte. Lestrange. Rohan. Chabreilles au Cheylard. En 1629, la ville de Privas défendue par Saint-André Montbrun, assiégée par Louis XIII et Richelieu en personnes, tombe et connaît pillages, massacres, incendies. Les grottes fortifiées de la Jaubernie à Coux ont abrité les protestants privadois de l'époque.

L'Édit de grâce d'Alès (1629)

Après la reddition de la Rochelle, dernière place de sûreté protestante, la paix d'Alès, du 28 juin 1629, consacre la défaite, enlève aux protestants tout pouvoir politique et militaire qui seront chassés de Privas une seconde fois en 1664 au moment où Louis XIV par ses édits restrictifs prépare la Révocation de l'Édit de Nantes. Les temples sont progressivement démolis sous divers prétextes. Des pasteurs se voient interdire l'exercice de leurs fonctions, certains sont emprisonnés.

En 1669, interdiction d'enterrer les protestants dans la plupart des cimetières. D'où leur mise en terre dans des cimetières privés (qui existent encore).

En 1683, Claude Brousson organise la résistance "passive" dirigée en Vivarais par Isaac Homel. Le 18 juillet 1683, on prêche sur les emplacements des temples détruits. Les troupes royales par ordre de Louvois dévastent la région. Les "dragonnades" entraînent des abjurations massives.

Desaignes, une cité huguenote importante au Moyen Âge avait construit son temple en 1608, au centre du bourg. Rasé par les dragons du Roi en mars 1684, la pierre gravée de sa façade fut conservée dans l'église et remise en place lors de la construction du second temple entre 1823 et 1844.

IV - de la Révocation à la Révolution

Louis XIV révoque l'Édit de Nantes en 1685

Entre 1685 et 1787, les protestants français sont persécutés pour leur foi : destruction des temples (le millier de temples de 1598 disparaitra avant octobre 1685), galères, emprisonnements… 200 000 protestants français s'exilent en Europe et dans le monde (pays du refuge). Le 18 octobre 1685, en son château de Fontainebleau, le roi Louis XIV, par l'Édit de Fontainebleau révoque totalement l'édit de tolérance signé à Nantes par son grand-père Henri IV en 1598. Il précise les mesures qui préviendront tout retour à l'ancienne doctrine : les temples sont rasés, les pasteurs envoyés en exil, les frontières sont fermées au vu de l'hémorragie démographique et économique que la répression a suscitée, les enfants doivent obligatoirement être enseignés dans la religion du Roi. La révocation de l'Édit de Nantes manifeste l'instauration en France d'un catholicisme rigoureux, du moins en apparence. Sur les conseils de son entourage, Louis XIV décide d'extirper l'hérésie protestante de son royaume. Il reproche aux "Huguenots" leur sympathie pour l'Angleterre et les Provinces-Unies des Pays-Bas.

Tout le royaume se partage entre "Anciens Catholiques" et "Nouveaux Convertis". Le protestantisme est hors la loi.

Premiers actes de résistance et leur répression (1685 - 1715)

Les assemblées clandestines

Assembl"e clandestine du Désert
Assemblée clandestine du "Désert"

Nombreux seront ceux qui, attachés à leur foi, et n'étant pas partis en exil dans les pays du "Refuge" (Suisse, Allemagne, Hollande, Angleterre, ...), se réuniront "au Désert", à l'abri des regards, dans des endroits cachés, pour célébrer le culte interdit, organisant une "église de l'ombre", clandestine, pendant plus d'un siècle en risquant la mort, les galères ou la prison à vie. Dix pour cent des 40 000 protestants du Vivarais, malgré l'interdiction, choisissent l'exil et prennent le chemin du "Refuge".

À la Révocation, en 1685, le protestantisme se maintenait dans cinq régions : le Haut-Vivarais, le plateau de Vernoux, les Boutières, la région de Privas et dans le Bas-Vivarais (Vallon, Lagorce, Vals, Les-Vans).

Privée de temples et de pasteurs, la vie religieuse continue donc en cachette, animée par des hommes et des femmes qu'on appelle " inspirés , prophètes ", ou simplement "prédicants". De petites assemblées clandestines s'organisent comme à Serres de Lès et en 1689 le mouvement des "inspirés", introduit en Vivarais par Gabriel Astier, est violemment réprimé (plusieurs centaines de morts au Serre de la Palle, où s'élève une stèle commémorative).

Les Dragonnades (1683 - 1685)

 

Dragonnades

Dragonnades dans les Cévennes : nouveaux missionnaires envoyés par ordre de Louis Le Grand : "Qui peut me résister est bien fort"
Un protestant signe son acte d'abjuration

 

Afin de mieux contrôler ces mouvements de résistance qui inquiètent le pouvoir, l'intendant du Languedoc Monsieur de Basville, décide la construction d'un réseau routier en Vivarais et dans les Cévennes destiné à l'envoi de troupes logeant dans les communautés chez l'habitant et permettant le passage des canons. En Boutières la création d'une route royale reliant Privas au Cheylard via Saint-Pierreville devient prioritaire. Datés de mai 1689 les devis décident du tracé. Pour des raisons stratégiques, et un souci d'économie, on emprunte la ligne la plus directe, traversant une zone montagneuse ne se préoccupant guère de déservir hameaux et petits bourgs et on cherche à réutiliser les chemins de muletiers existants en les élargissant. En deux ans près de 50 kilomètres sont réalisés par une main d'œuvre corvéable. Les troupes qui la parcourent sont basées au Cheylard et au château de la Tour à Saint-Pierreville. Elle prend le nom de route des dragonnades en mémoi!re du rôle joué par les dragons du roi dans les abjurations forcées.

Cette route réalisée avec des moyens modestes sera utilisée comme axe principal jusqu'à la fin du XIXe siècle. Aujourd'hui encore plusieurs tronçons comme la descente du Cordon Blanc au pont d'Auzène ou la descente de Saint-Pierreville au pont de Moyère sont quotidiennement parcourus.

 

Le "Désert" ou "Sous la Croix" (1685 - 1787)

1er Synode Antoine Court
Premier Synode 1715 Antoine Court

Cette séquence temporelle de 102 ans (entre 1685 et 1787) est connue sous le nom de "Désert" ou "Sous la Croix". C'est le temps de la clandestinité et de la résistance. Deux termes qui demandent à être explicités : le Désert désigne à la fois les années de clandestinité et un espace marginalisé et déstructuré tant par l'arasement des temples que par l'élimination physique ou la persécution des pasteurs et des fidèles, mais il évoque également sur le registre des symboles, la période d'errance des Hébreux en quête de la Terre promise ; la référence à la croix renvoie aux signes d'allégeance contrainte, le signe de croix étant interprété par les missionnaires comme un ralliement de fait au catholicisme, alors que le refus de se signer devant les croix dressées aux carrefours constituait un délit.

• De 1685 à 1715 : la période est caractérisée par le départ ou l’abjuration de tous les pasteurs, puis l’émergence des assemblées animées par des "prédicants", prédicateurs sans formation.

L'une des premières assemblées connues se situait aux Badons en 1697, près de Lapras, paroisse de Desaignes ( actuellement commune de Saint-Basile ). Claude Brousson, un avocat devenu pasteur rencontra pendant près d'un mois les prophètes et prédicants de Saint-Jean-Chambre, Desaignes et Lamastre. En représailles, en 1698, on brûla 16 maisons, dont celles des Badons, et on arrêta les suspects.

• De 1715 à 1787 : les pasteurs reviennent et tentent de remettre de l’ordre. À partir de 1715, Antoine Court réorganise une "église du Désert" et de la clandestinité. Pierre Durand sera le premier pasteur consacré au "Désert", arrêté en 1732, il dut "sceller de son sang la vérité qu'il avait prêchée".

D'autres pasteurs : Jean Fauriel-Lassagne, Jacques Boyer, Fauriel Ladreyt, Morel-Duvernet, Pierre Peirot, François Coste, Dunière, Jean Blachon, Mathieu Majal-Désubas , et Alexandre Vernet qui présidait l'assemblée de 1756 où la troupe intervint pour la dernière fois ; Vernet a béni 1945 mariages et baptisé 8933 enfants. Et d'autres qui travaillèrent avec zèle à la restauration des Églises vivaroises et à l'éducation des fidèles.

Au synode provincial clandestin de 1744 on décida de tenir les assemblées de jour "pour servir le Seigneur selon la pureté de l'Évangile, sans armes et sans causer de tumulte". Les rapports officiels font état de plusieurs milliers de participants.

La dernière assemblée ayant fait l'objet d'une intervention de l'armée eut lieu au Peysson, paroisse de Desaignes, le 6 juin 1756 . 4 à 5 000 personnes étaient réunies et refusèrent de se séparer lorsque le lieutenant leur en intima l'ordre. La sanction, la dernière en Vivarais, fut une amende de 3 000 livres à payer par les Nouveaux Convertis de la région, mais il n'y eut pas d'arrestations.

Pendant la période du "Désert", la résistance des protestants, souvent non-violente, a duré pendant quatre générations. Marie Durand enfermée 36 ans à Aigues-Mortes dans la tour de Constance y grave dans la pierre le mot "REGISTER".

 

Cette période ne prendra fin qu'avec l' "Édit du roi, Louis XVI, concernant ceux qui ne font pas profession de la religion catholique" dit aussi Edit de Tolérance signé à Versailles le 7 novembre 1787.

 

Les Camisards dans les Cévennes et en Vivarais (1702 - 1711)

Jean Cavalier
Jean Cavalier, chef Camisard, peinture de Pierre-Antoine Labouchère, 1864

Les Cévennes vont être le théâtre de la

Guerre des Camisards (dont un récit minutieux a été fait par Antoine Court lui-même). Il s'agit d'un soulèvement armé pour tenter de retrouver la liberté de culte, elle opposera quelque 3 000 protestants des Cévennes, les Camisards ayant Abraham Mazel à sa tête, à environ 30 000 soldats du pouvoir royal, de 1702 à 1704, sans réussir à fléchir l'intolérance et la répression. Excédés et encouragés par la radicalisation des discours prophétiques, une petite expédition d'inspirés armés s'ébranla le 24 juillet 1702 en direction du Pont de Montvert (sur le bord du Tarn) afin de délivrer quelques fugitifs capturés et retenus par l'abbé du Chaila, inspecteur des missions des Cévennes, qui avait organisé une gigantesque rafle des "Nouveaux Convertis". Le meurtre de l'abbé au cours de l'opération donna le signal du soulèvement général et d'une guérilla au cours de laquelle quelques centaines d'artisans et de paysans modestement armés allaient tenir tête pendant plus de deux ans à la plus puissante armée du temps, successivement dirigée par deux maréchaux: de Montrevel qui avait remplacé de Broglie à la tête de l'armée puis de Villars. Menés par quelques chefs, dont les principaux sont Cavalier et Rolland, les camisards probablement appelés ainsi en raison de la "camiso", chemise blanche dont ils recouvraient leurs habits en signe de reconnaissance, bénéficiaient d'une connaissance fine du terrain et de la complicité totale de la population, encore renforcée par la mise en œuvre du "Grand brûlement des Cévennes". À chaque instant les combattants puisent dans le prophétisme leur détermination et des indications sur la conduite à tenir. Choix du lieu des embuscades ou des assemblées, exécutions ou grâces : nombreuses sont les occasions de consulter "l'Esprit". Mais bientôt le vent commence à tourner. Mettant à profit un moment de flottement adverse, de Villars ouvre des négociations avec Cavalier qu'il abuse facilement, obtenant de lui sa reddition sans réelle contrepartie. D'autant plus désappointés que Rolland, trahi, venait d'être abattu, les camisards se rendent par petits groupes. En octobre 1704, les principaux chefs camisards quittent la France et se rendent en Suisse. Au début du mois de janvier 1705, seuls Ravanel et Claris ne se sont pas rendus. Ils sont tenus à l'errance et à l'inactivité par la traque incessante des soldats royaux. L'aide et le soutien de la communauté protestante leur sont refusés. On peut considérer que la guerre des camisards proprement dite est terminée. C'en est fini de l'essentiel de la révolte, même si les puissances étrangères protestantes tentèrent en vain de ranimer l'insurrection. Le récit s'achève vers 1710 avec la mort des derniers camisards.

Par contre le mouvement camisard ne fut qu'épisodique en Vivarais: répression et massacre le 24 février 1704, du prophète protestant Jean-Pierre Dortial par les troupes royales au hameau de Franchassis (commune de Pranles) qui venait à la tête de 150 "phanatiques" de tuer le curé de Gluiras, de brûler son église ainsi que la plus part de celles de sa région ; défaites d'Abraham Mazel à Leyrisse (près d'Alboussière) puis à Fontréal (Saint-Jean-Chambre) en 1709.

La période héroïque : réorganisation de l'Église clandestine (1715 - 1752)

- L'organisation des "Églises du Désert" lancée par Court à partir de 1715 passe par la convocation de synodes, tant au niveau provincial que national. Ainsi par exemple, le premier synode du Désert à ambition nationale ­ en fait, y sont présents les délégués de quatre provinces du Midi ­ est réuni en mai 1726 dans le Vivarais (Les Boutières), commence-t-il par exhorter les fidèles à rester soumis aux autorités.

- Mise en place d'un réseau de pasteurs. En 1720, le Refuge n'apportant pas l'aide qu'on attend de lui, Court se rend à Genève ; il y restera jusqu'en 1722. En 1729, après avoir plusieurs fois failli être capturé, Court se réfugie à Genève, puis s'installe à Lausanne. Lorsqu'il revient en Languedoc en 1744 pour un synode, il est protégé, reconnu, et son voyage se passe sans encombres.

- Début d'un état-civil protestant. Bien qu'il paraisse inacceptable en termes ecclésiastiques, le compromis va s'avérer payant à terme : certes, l'état-civil ne donne qu'une reconnaissance sociale et individuelle, mais son obtention a des conséquences religieuses et ecclésiales : l'existence de Français non catholiques casse toute prétention au monopole de la vérité doctrinale et empêche définitivement que l'appartenance confessionnelle soit considérée comme une condition nécessaire de l'intégration civique.

- Répression renforcée (arrestation et pendaison de pasteurs : Pierre Durand est pendu à Montpellier en 1732.

- Le 1er février 1746, la pendaison à 26 ans du pasteur Mathieu Majal dit Désubas, crée une vive émotion car il était très aimé. Il sera le dernier pasteur exécuté en Vivarais.

Relâchement de la répression (1752 - 1770)

Entre 1753 et 1754, les envois de livres en provenance de Genève se poursuivent, à raison d'un exemplaire de la Bible par paroisse ; les assemblées étaient plus nombreuses que jamais, mais les troupes ne sortent pas de leur garnison. En août 1753, l'officier de la garnison de Chomérac, envoya un détachement d'une vingtaine d'hommes, pour dissiper une assemblée, mais le pasteur Blachon parla avec zèle et persuasion, si bien que l'exercice tourna court et que tous partirent ensemble, sans être inquiétés.

Les premières assemblées de jour deviennent de plus en plus régulières. Le pasteur Paul Rabaut (1718-1794) réunit des assemblées très nombreuses en Languedoc ; il noue des contacts avec les autorités de la province. Les assemblées se font plus souvent en plein jour et sont fréquentées progressivement par les notables.

A partir de 1760, une période de tranquillité relative voit croître rapidement le nombre des pasteurs. En 1763, les Églises comptent 62 pasteurs et 35 proposants ; en 1783, elles comptent 150 pasteurs et 30 proposants.

Après 1760, de nombreux pasteurs vivent avec leur femme et leurs enfants dans leur maison au vu et au su de tout le monde.

 

V - La tolérance de fait (1770 - 1787)

La notion de tolérance s'impose peu à peu aux esprits éclairés. Un mince progrès est constitué par la décision prise par Louis XVI en 1782 d'interdire aux curés de qualifier de bâtards, dans les actes publics, les enfants des protestants mariés au Désert.

L'Édit de Tolérance (1787)

signé par Louis XVI en 1787, l'Edit de Tolérance, permit aux personnes non catholiques de bénéficier de l'état-civil sans l'obligation de se convertir au catholicisme. Les principaux concernés furent les protestants (les juifs n'étaient pas sujets du roi de France).

ll ne s'agissait donc aucunement d'une reconnaissance de la religion protestante, mais d'une étape importante dans la pacification religieuse du pays : la fin officielle des persécutions. Il faudra attendre deux ans de plus, avec la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 proclamant la liberté de conscience et le libre exercice du cultepour que les protestants soient enfin définitivement reconnus comme des citoyens à part entière.

La majorité des protestants accueille ce texte favorablement et nombreux sont ceux qui viennent régulariser devant les juges leur mariage au Désert et la naissance de leurs enfants. L'état-civil pour les non-catholiques est reconnu.

Après 1789, on trouve encore 35 000 protestants, soit 12 à 13 % de la population dans le seul département de l'Ardèche.

VI - Le régime concordataire (1801-1905)

L'année 1789 voit la Révolution et la Déclaration des Droits de l'Homme.

Par les articles organiques joints au Concordat signé le 15 juillet 1801 et promulgué par le Corps législatif de la République Française le 18 germinal an X (8 avril 1802) avec le pape Pie VII, Bonaparte reconnaissait également le culte protestant. Ce texte suscite de violentes critiques chez les anciens révolutionnaires mais il est accueilli avec un immense soulagement dans les campagnes. Il met fin aux guerres civiles et religieuses qui avaient divisé les Français tout au long de la Révolution (suite au vote de la Constitution civile du Clergé par l'Assemblée constituante, le 12 juillet 1790).

Les séquelles de cette période sont restées d'autant plus vivaces qu'une relative intolérance religieuse a sévi sous diverses formes, de 1815 à 1830, imposant une certaine discrétion dans l'occupation de l'espace. Cette discrétion combinée avec le refus des images fait que les traces et marques dans l'espace des réformés sont rares et le plus souvent d'une grande banalité, surtout dans le domaine architectural. D'autres repères spatiaux sont évanescents, à tel point que seuls les initiés peuvent les percevoir et les interpréter à partir de références historiques et culturelles qui leurs sont propres.

Entre 1820 et 1860, les temples sont reconstruits.

La conquête, voire l'invention, de la notion de tolérance en France, en quatre siècles, est pour une large part due à l'action des protestants qui, malgré les persécutions, n'ont pas fléchi et sont restés fidèles à leur choix de la non-violence.

La loi du 9 décembre 1905, à l'initiative du député socialiste Aristide Briand, prend parti en faveur d’une laïcité sans excès et consacre la séparation de l'église et de l'état.

Sources:

- Le Vivarais et le Velay protestants par Samuel Mours Imprimeries Réunies 1947.

- Histoire des Protestants du Vivarais et du Velay par E. Arnaud, Grassart Libraire-éditeur, Paris, 1888.