Portraits d'ardéchois

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François-Joachim de Pierre de BERNIS


1715-1794


Ecclésiastique et diplomate

"Je préfère le paradis pour son climat mais l'enfer pour ses fréquentations."
Cardinal de Pierre de Bernis

Ministre de Louis XV, ambassadeur à Vienne, Venise et Rome, ami de Voltaire, abbé de cour ; le cardinal de Bernis fut également un poète galant, et un archevêque exemplaire à Albi.

 

François-Joachim de Pierre de Bernis est né dans le château, à Saint-Marcel-d'Ardèche, le 22 mai 1715, dans une famille noble et désargentée du Vivarais. Au XVIIIe siècle, le marquis de Bernis est le frère de François-Joachim et seul possesseur de cette terre érigée en marquisat par lettres patentes du Roi, enregistrées au parlement de Toulouse.

Voici quelques-uns des souvenirs d'enfance du Cardinal, extraits de ses "Mémoires" :

"Je fus nourri à la campagne, dans une maison rustique. Ma nourrice m'accoutuma de bonne heure à manger du potage au choux et au lard" …"L'intelligence ne tarda pas à se déveopper en moi . Si les facultés de la mémoire en sont la preuve, je me ressouviens très distinctement du temps où je fus sevré, et la première de mes sendations fut l'étonnementque produit en moi l'ombre des coreps ; je regardais sans frayeur, mais avec une profonde surprise, ces espèces de fantômes qui se peignaient à la lumière, contre la muraille de ma chambre, et qui se raccourcissaient ou s'allongeaient d'une manière piquante pour moi, et que je ne pouvais comprendre."…"Dès que je pus marcher et promener mes yeux au-dessus, au-dessous et autour de moi, rien ne me frappa tant que le spectaclede la nature ; je ne ma lassais point de contempler le ciel et les astres d'examiner les changements successifs qui se font dans l'air, de suivre le cours des nuages et d'admirer les différentescouleurs dont ils se peignaient ; les rochers, les torrents, les arbres n'attirèrent pas moins mon attention. J'admirais non avec des yeux de naturaliste , mais de peintre, les insectes et les plantes… Les remarques que je faisais dans mon enfance s'étaient tellement imprimées dans ma mémoire, que, lorsque j'ai cultivé la poésie, je me suis trouvé plus de talents et de fonds qu'un autre pour peindre la nature avec des couleurs vraies et sensibles."

"Le caractère distinctif de mon esprit a donc été la réflexion ; j'ai réfléchi aussitôt que j'ai pensé. Ce n'est pas que je n'aie pas été enfant avec ceux de mon âge ; mais je préférais, dès l'âge de six ans, à tous les amusements, le plaisir d'écouter les gens qui parlaient bien ; mon père était souvent étonné que je restasse auprès de lui quand il m'était libre d'aller polissonner avec mes camarades. " " Cette singularité commença à me faire une réputation d'esprit qui s'accrut encore par des réflexions qu'on trouva au-dessus de mon âge. Je ne répéterai point ici les bons mots de mon enfance. Je les ai trouvé froids et insipides lorsqu'on me les a répétés, mais il est cependant vrai qu'un enfant est au-desus des autres lorsqu'il a plus d'idées que ceux de son âge."

"Ma mère qui était fort pieuse, et qui avait assez d'esprit pour enseigner la vertu sans y mêler de petitesses, m'imprima de bonne heure l'amour et la crainte de Dieu ; ce sentiment n'a jamais été effacé. Je n'ai jamais rien tant aimé que Dieu, quoique dans ma jeunesse j'ai aimé des choses très vivement et même assez follement. Je dois donc à ma mère l'amour de la religion, et à mon père, qui n'était pas dévot, mais qui avait l'âme élevée, la noblesse des sentiments et l'attachement à l'honneur." 3On m'avait destiné à être chevalier de Malte : cette profession militaire, à laquelle j'étais voué dès le berceau, avait tourné toutes mes inclinations du côté de la guerre. Ce goût de mon enfance n'est pas entièrement détruit ; j'ai souvent trouvé dans mon esprit beaucoup de vues relatives à l'art militaire, et j'ai quelquefois regretté qu'il ne fût plusde mode de mettre les cardinaux à la tête des armées."

"Je finirai le détail de mon enfance par deux réflexions :

1- "Je suis né avec beaucoup de courage, d'esprit et de force de corps, et cependant les contes puérils des nourrices et des femmes de chambre m'avaient inspiré une frayeur ridicule des revenants et des sorciers. J'ai plus craint, pendant vingt ans de ma vie, les morts que les vivants.

2- " Rien n'est si dangereux pour les mœurs et peut-être pour la santé que de laisser les enfants trop longtemps sous la tutelle des femmes de chambre ou même dans la société des demoiselles élevées dans les châteaux. J'ajouterai que les plus sages d'entre elles ne sont pas toujours les moins dangereuses. On ose avec un enfant ce qu'on aurait honte de risquer avec un jeune homme. J'ai eu besoin de tous les sentiments de piété que ma mère avait gravés dans mon âme pour préserver ma jeunesse d'une trop grande corruption des mœurs."

La seigneurie appartient à sa famille par mariage, depuis 1245. François-Joachim de Pierre de Bernis se rend à Paris à l'âge de 14 ans, au collège Louis-le-Grand, faute de fortune personnelle pour faire une carrière militaire, il s'engage dans la carrière ecclésiastique et rentre à 16 ans au séminaire Saint-Sulpice. Ce cadet de famille vivarois fait brillamment son chemin.

Élu à l'Académie Française

Il est élu à l'Académie Française le 26 novembre 1744, à l'âge de 29 ans, en remplacement de l'abbé Nicolas Gédoyn et reçu par Crébillon le 29 décembre 1744.

Cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis

"Dans les années qui suivirent sa réception, Bernis figura plusieurs fois à la tête de la Compagnie dans les occasions solennelles où il fallait représenter à Versailles. L'Académie le choisissait comme un sujet et un visage agréables au Roi". (Sainte-Beuve).

Ses talents littéraires de conteur et de poète lui valent d'être remarqué par Madame de Pompadour qui devient sa protectrice et le reçoit dans son château d'Étioles. Cette amitié, outre qu'elle le tire de la pauvreté en lui valant une pension royale, lui procure aussi un appartement aux Tuileries.

Madame de Pompadour devenue la maîtresse du roi, va surtout lancer sa carrière diplomatique et politique dans les tous premiers cercles du gouvernement de la France.

Homme politique

C'est elle qui le fait nommer ambassadeur, d'abord à Venise de 1751 à 1755, où avec Casanova le cardinal de Bernis partageait une complicité qui leur assurait un franc succès dans la cité des Doges ; puis à Madrid. C'est elle qui le fera entrer au Conseil du roi en 1757 quand il sera nommé Ministre d'État, puis secrétaire d'État des Affaires étrangères en 1757/1758.

Voici ce qu'écrit Casanova sur la carrière internationale du Cardinal dans ses fameux "Mémoires " (T.I et II); (Casanova que le Cardinal fréquentera entre 1752 et 1755 lorsqu'il sera nommé à Venise la Sérénissime) :

"L'abbé de Bernis fut ministre des affaires étrangères quelques temps après la conclusion du traité (le traité d'alliance conclu le 1er mai 1756 à Jouy entre les maisons de France et d'Autriche) ; trois ans après, il rétablit le parlement, ensuite il fut fait cardinal puis disgracié, ensuite placé à Rome où il mourut. Mors ultima linea rerum est.

Monsieur de Bernis, au comble de la gloire, pour avoir détruit tout ce que le cardinal de Richelieu avait fait ; pour avoir, de concert avec le prince de Kaunitz, su métamorphoser l'antique haine des maisons d'Autriche et de Bourbon en une heureuse alliance, qui délivrait l'Italie des horreurs de la guerre dont elle devenait le théâtre chaque fois que les deux maisons avaient maille à partir, ce qui n'était pas rare ; bienfait qui lui avait mérité le premier chapeau de cardinal d'un pape qui, lors du traité, était évêque de Padoue, et qui, par conséquent, avait été a portée de l'apprécier ; ce noble abbé, mort il y a un an à Rome, où Pie VI le distinguait particulièrement, fut exilé de la cour pour avoir dit au roi, qui lui demandait son avis, qu'il ne croyait pas que Monsieur le prince de Soubise fût l'homme propre à commander ses armées. Dès que la Pompadour le sut, et elle le tenait du roi lui-même, elle eut le pouvoir de le faire disgracier, ce qui mécontenta tout le monde ; mais on se consola bientôt par des couplets piquants, et le nouveau cardinal ne tarda pas à être oublié. C'est le caractère de cette nation : vive, spirituelle et aimable, elle ne se sent plus ni ses malheurs ni les malheurs d'autrui dès qu'on trouve le facile secret de la faire rire".

Le prélat ne se privait de rien, il avait, comme son compère, les talents de l'esprit et de la séduction pour se tailler un royaume à sa mesure, celui du bon plaisir. Religieux par nécessité, jeune abbé sans le sou mais d'une ambition rare que son intelligence sut assouvir, Bernis était un de ces hommes de Dieu dont Dieu n'était pas la préoccupation première.

Il fut l'ami de Madame de Tencin, de Voltaire et de Duclos qu'il reçut. Il écrivit des poésies légères ; Voltaire, par allusion à son style fleuri l'avait surnommé "Babet la bouquetière".

Il participe aux négociations qui contribuent au rapprochement franco-autrichien par le traité de Versailles (1er mai 1756) qui engage la France dans la guerre de Sept Ans. Un choix malheureux qui ruina le royaume et fit presque rire l'Europe. Après les victoires de Frédéric II à Rossbach (15 novembre 1757) et à Leuthen, le cardinal qui aurait pu devenir premier ministre, fut pourtant condamné à la disgrâce pour avoir conseillé la paix au roi. Il démissionne et est remplacé sur sa proposition par Choiseul.

Homme d'église

Il n'entra réellement dans les ordres qu'en 1756, à l'âge de 40 ans ; promu cardinal en 1758. Il est exilé à Vic-sur-Aisne de 1759 à 1760. Puis, archevêque d'Albi plus tard en 1764 où il reste cinq ans, il est envoyé par Louis XV en 1769 à Rome, d'abord au conclave où sa mission est de contribuer à l'élection du candidat de la France Ganganelli - le futur Clément XIV, - dans le dessein, d'obtenir la suppression de l'ordre des Jésuites, ce qui sera fait en 1773 ; puis comme ambassadeur auprès du Saint Siège, jusqu'en 1791 - sous Pie VI.

Lorsque la Révolution éclate, il est toujours ambassadeur à Rome. En 1790, il refuse de prêter serment à la Constitution civile du clergé et pousse le pape à condamner cette même constitution ; il se voit réduit à accepter une pension de la Cour d'Espagne.

Fin de vie

En mars 1792, il fut inscrit sur la liste des émigrés et ses biens mis sous séquestre. Le château de Saint-Marcel-d'Ardèche, où le cardinal passa son enfance, fut vendu aux enchères pour payer les 53.000 livres de contribution patriotique que le district lui réclamait.

Privé de son archeveché et de ses abbayes, dépouillé de ses biens et pensions par la Révolution, il meurt à Rome le 2 novembre 1794. Inhumé à l'église Saint-Louis des Français jusqu'en 1805, sa famille fit ensuite transférer son corps à la cathédrale Notre-Dame-et-Saint-Castor de Nîmes, mais son cœur resta dans la ville éternelle.

Ce serait en allant revoir sa famille en Ardèche, qu'il aurait écrit une épitre sur l'amour de la patrie. Cette pièce débute par une description de sa terre natale, en mettant Saint-Marcel-d'Ardèche à l'honneur :

"Je vous salue, ô terre, où le ciel m'a fait naître !
Lieux où le jour, pour moi, commença de paraîttre,
Quand l'astre du berger, brillant d'un feu nouveau,
De ses premiers rayons éclaira mon berceau.
Je revois cette plaine où des arbres antiques
Couronnent les dehors de nos maisons rustiques :
Arbres, témoins vivants de la faveur des cieux,
Dont la feuille nourrit ces vers industrieux
Qui tirent de leur sein notre espoir, notre joie,
Et pour nous enrichir s'enferment dans leur soie.
Trésor du laboureur, ornement du berger,
L'olive, sous mes yeux, s'unit à l'oranger.
Que j'aime à contempler ces montagnes bleuâtres
Qui forment devant moi de longs amphithéâtres ,
Où l'hiver règne encore, quand la blonde Cérès
De l'or de ses cheveux a couvert nos guérets !
Qu'il m'est doux de revoir, sur des rives fertiles,
Le Rhône ouvrir ses bras pour séparer nos îles,
Et, ramassanr enfin ses trésors dispersés,
Blanchir un pont bâti sur ses flots courroucés ! (Le pont Saint-Esprit)
D'admirer, au couchant, ces vignes renommées
Qui courbent en festons leurs grappes parfumées,
Tandis que, vers le nord, des chênes toujours verts
Affrontent le tonnerre et bravent les hivers !
Je te salue encore, ô ma chère patrie !
Mes esprits sont émus, et mon âme attendrie
Échappe avec transport aux troubles des palais,
Pour chercher dans ton sein l'innocence et la paix.
C'est donc sous ces lambris qu'ont vécu nos ancêtres ! (…) "

Sources

 

- Le Saviez-Vous ? "L'enfance ardéchoise du cardinal de Bernis" par Jean-Marc Gardès ENVOL n° 570 Mai 2007.

- Les mystères de l'Ardèche, histoires insolites, étranges, criminelles et extraordinaires par Claude Didier - Jacques Duclieu, Editions De Borée à Riom, 2011