Prosper MENIÈRE

1799- 1862

Médecin, oto-rhino-laryngologiste français

L'étude de la pathologie de l'oreille interne doit son identification à Prosper Menière au terme d'un long parcours. Il fut le premier  à décrire les éléments de la maladie qui porte son nom, caractérisée par une triade symptomatique et son évolution paroxistique.

Article inspiré par "Le parcours de Prosper Menière, créateur de la layrinthologie" par François Legent de l'Université de Nantes

Prosper Menière est né le 16 juin 1799 (28 prairial an VII de la République) à Angers, il est le troisième de quatre enfants d'un négociant prospère. Son patronyme a une orthographe variable; mais Prosper Menière n'accentua jamais le premier "e" de son nom, alors que son fils Émile non seulement accentuait tous les "e" pour son nom mais aussi pour les livres posthumes de son père qu'il fit éditer.

Premières années d'étude, l'internat à Paris

En 1816 il entre à l'École de médecine d'Angers. Excellent étudiant, il obtint le prix annuel de l'École des études médicales en 1817, 1818 et en 1819. Nommé à l'externat en janvier 1823, puis au concours de l'internat à Paris la même année, avec prise de fonction en janvier 1824. En 1826, Menière obtient la médaille d'or de l'internat.

Prosper Menière

La réputation de l'Hôtel-Dieu pour les internes tenait à la qualité des "patrons", à la proximité de la faculté et de l'École pratique de la Faculté, et au "Bureau central", ouvert sur le parvis de Notre-Dame, où s'organisait pour tous les hôpitaux les hospitalisations en fonction des maladies et du lieu d'habitation des malades. C'est cet établissement hospitalier qu'il fréquentera durant sa vie hospitalière parisienne.

En 1828, il soutient sa thèse de doctorat sur "La constitution médicale du troisième semestre de 1826". Il y passe en revue les différentes pathologies observées pendant cette période. Pour le traitement, comparant les avantages respectifs des purgatifs et de la saignée, il optait manifestement pour le purgatif. "Beaucoup de raisons s'opposent à ce qu'on fasse une saignée, et le patient, par le moyen d'un purgatif, voit finir une angoisse qui menaçait sa vie." Tout le reste de sa vie, on le voit opter pour les traitements les moins agressifs.

D'abord interne de Récamier, il occupe ensuite, en 1830, le prestigieux mais peu enviable poste d'assistant clinique du célèbre Baron Dupuytren à l'Hôtel Dieu qui régnait en maître absolu de la chirurgie et dont Menière sut gagner l'estime. Il occupe ce poste exigeant avec prestance et acquit une très grande pratique, surtout pendant le bouleversement politique de juillet 1830, quand des centaines d'émeutiers blessés sont admis dans cet hôpital. De cette expérience sur les blessures par arme à feu, il rapporta de nombreuses observations publiées dans un livre intitulé L'Hôtel-Dieu de Paris en juillet-août 1830, dans lequel il rapporte les effets produits par les armes à feu et leurs traitements.

 

L'agrégation et le chef de clinique

Créé par ordonnance en 1823,l'agrégation comportait trois options : la chirurgie, les sciences accessoires (appelées maintenant fondamentales), et la médecine. En 1829, Menièrel se confronta pour la première fois à l'agrégation de médecine,

Le concours nécessitait une parfaite maîtrise du latin imposé pour les trois épreuves : écrit, thèse et argumentation. Le français ne fut adopté qu'en 1832. Sa thèse s'intitulait : "Num epiletia aliaeque convulsiones semper a laesione organica pendent ?" Il ne sera reçu qu'au concours suivant déroulé en 1832, cette fois en français, après avoir soutenu une thèse sur "De l'importance des signes fournis par le pouls dans le diagnostic des maladies".

En 1832, il est nommé médecin du roi Louis Philippe en 1832, en remplacement de Récamier. En 1834 il est nommé Chef de clinique à la faculté dans le service du Professeur agrégé Auguste-François Chomel (1788-1858). En 1836, il fut désigné pour remplacer le Professeur Antoine Dubois au service de la clinique d'accouchement, ce poste pouvant être occupé par un médecin ou un chirurgien

Cette période universitaire se termina sans que Menière ne puisse accéderr au poste suprême de Professeur.

Prosper Menière et le Doyen Orfila

Celui qui allait devenir le futur doyen de Paris, de 1831 à 1848, Mathieu Joseph Bonaventure Orfila, entretenait des rapports particuliers avec l'école de médecine d'Angers, Il avait été désigné avec son ami Béclard pour présider les jurys médicaux des officiers de santé dans les écoles de médecine en particulier d'Angers.

 

Prosper Menière allait bénéficier de l'appui du futur doyen de Paris, et devenir un ami intime d'Orfila et de sa famille. et l'accompagna plusieurs fois dans ses périples européens. Ce soutien d'Orfila, une des conséquences de l'origine angevine de Prosper Menière, fut probablement décisif lors de certaines étapes de sa carrière.

Lutte contre le choléra

Des épidémies de choléra frappèrent la France à plusieurs reprises; en mars 1832 Menière s'impliqua dans l'épidémie qui qui débuta à Paris faisant près de 20.000 morts de mars à septembre. Il fut d'abord affecté à l'Hôpital de la Réserve où 800 lits avaient été installés. En mai, il fut désigné par Orfila, pour soigner dans l'Oise une épidémie de suette miliaire compliquée de choléra. Les autorités et les médecins ne furent pas épargnés par le choléra. Casimir Périer, président du conseil de Louis Philippe, en est mort en mai après avoir été visiter des malades à l'Hôtel-Dieu avec le duc d'Orléans le 1er avril. Orfila fut également frappé; Menière passa toute une nuit à le frictionner avec ses amis angevins Lachèse, Ollivier, Bérard, et Orfila fut sauvé.

En 1835, Menière est envoyé par le gouvernement dans les départements de l'Aude et de la Haute-Garonne pour y organiser la lutte contre le choléra, Pour ce travail il est fait Chevalier de la Légion d'Honneur. Il accompagne Mathieu Orfila dans ses voyages européens notamment en Autriche et en Allemagne.

Il est vraisemblable que cet épisode de choléra resserra les liens d'amitié entre Orfila et Menière. Menière sera reçu très souvent par Madame Orfila, comme dans sa famille. Le Professeur Orfila fit découvrir à Ménière son pays natal, l'Espagne. Puis ils firent ensemble un long voyage à travers l'Europe en 1851. Visitant l'Allemagne, l'Autriche. A l'occasion de ce voyage constate que " la science micrographique doit son importance aux travaux des savants d'outre-Rhin."

Avant de disparaître en 1853, Orfila fit de Menière son exécuteur testamentaire. Deux jours plus tard, Menière publiait une longue nécrologie de son ami dans le Moniteur universel. On comprend que, dans de telles dispositions d'amitié, en 1833, le doyen Orfila ait conseillé au gouvernement de choisir Prosper Menière pour accompagner la duchesse de Berry dans sa captivité à Blaye .

1838 : Difficultés dans sa carrière et mariage

Au concours de novembre -décembre 1837, il échoue pour l'accession à la chaire d'Hygiène; il échoue également pour le Bureau central des Hôpitaux;

En 1838 il épouse Mademoiselle Anne Pauline Becquerel, âgée de 22 ans, fille d'Antoine César Becquerel le découvreur de la radioactivité. Menière était aussi un écrivain très prolifique et a écrit dans le Journal Officiel médical, mais aussi sur la botanique (notamment les orchidées), l'archéologie, les poètes romains, entre autres.

Médecin chef à l'Institut des sourds-muets de Paris

Institution des sourds-muets

Cette institution avait été créée en 1791 pour assurer la suite de la maison de l'abbé de l'Épée qui était un pensionnat assurant l'asile et l'instruction des sourds-muets. Son directeur, l'abbé Sicard  s'était adjoint les services d'un médecin militaire, Itard un jeune médecin qui sut déceler que les "enfants sauvages" souffraient de maladie d'oreille. Ces maladies d'oreilles intéressaient assez peu la médecine officielle de l'époque. Devant l'échec des thérapeutiques les plus diverses Itard en concvlut qu'il fallait continuer l'enseignement de la communication avec les signes.

En arrivant à l'Institution des sourds-muets, Menière n'avait aucune expérience des maladies de l'oreille. Ce fut en fait une chance pour ce médecin d'une quarantaine d'années, d'une grande culture médicale, de n'avoir ainsi subi aucune influence. Ces maladies, mal connues, s'avéraient surtout le terrain de chasse de nombreux charlatans.

Arrivée de Menière à l'Institution

C'est en août 1838 que Prosper Menière, sur la recommandation d' Orfila, succéda à Jean Marc Gaspard Itard et devint Médecin chef à l'Institut Impérial des sourds-muets à Paris et commença les études pour lesquelles il est devenu célèbre. Cette nomination permettait à Menière de ne pas poursuivre dans la voie difficile et hasardeuse des concours hospitaliers et universitaires, et d'obtenir une situation honorable.

Une partie de la presse médicale jugea très défavorablement ce choix de Menière par le Conseil d'administration.

Si l'arrivée de Menière à l'Institution ne fut pas triomphale, elle fut aussi sans enthousiasme semble-t-il car il écrivit plus tard :" À l'exemple de feu Itard mon prédécesseur à l'Institut des Sourds-Muets de Paris, j'ai étudié les maladies de l'oreille, non par goût ni par choix, mais par occasion et par devoir." Il allait découvrir deux mondes qu'il ignorait : celui de l'éducation des enfants sourds-muets et celui des maladies des oreilles. En fait, les deux domaines étaient liés car la surdi-mutité était alors le moteur de la recherche concernant la surdité.

Menière s'initia grâce aux traités de Itard et de Kramer :le Traité des maladies de l'oreille et de l'audition d'Itard paru en 1821 , le Traité des maladies de l'oreille de Kramer, médecin berlinois, paru en Allemagne en 1836. Dix ans plus tard, il publiait une traduction du livre de Kramer accompagnée de nombreux commentaires concernant les "insuffisances "de ce livre, notamment pour les descriptions otoscopiques. Il montrait l'importance de bien examiner la membrane tympanique. Ses publications sur les vertiges, à la fin de sa vie, ont occulté ses autres travaux otologiques pourtant de grande valeur. Prosper Menière apporta beaucoup à l’ensemble de l'otologie en appliquant la rigueur scientifique qu'il avait apprise pour la pathologie des autres organes. D’ailleurs, lors de la deuxième édition du Traité de Itard publié en 1842 sous la direction de l’Académie de médecine, les membres de cette institution chargés de la mise à jour firent de larges emprunts aux travaux de Menière.

En 1841, Menière publie un article intitulé De l'exploration de l'appareil auditif, ou Recherches sur les moyens propres à conduire au diagnostic des maladies de l'oreille. De même en 1851, dans la Gazette des Hôpitaux civils et militaires de janvier, il publie un article dans lequel il donnait sa conception des recherches sur l'oreille.

En septembre 1860, soit quatre mois avant son célèbre mémoire sur la maladie qui porte désormais son nom, Menière fit une lecture devant l'Académie de médecine sur "de l'expérimentation en matière de surdi-mutité" où il déclarait : "que de fois, en étudiant un sourd-muet j'ai pu me convaincre qu'aucune des parties accessibles de l'oreille n'était lésée, du moins d'une manière appréciable, et que, par conséquent, l'imperfection mieux l'abolition fonctionnelle du sens auditif, ne dépendait d'aucune cause perceptible à nos moyens d'exploration ! Eh bien ! Chez ces pauvres enfants, on avait eu recours, sans motif valable, à des cautérisations violentes, à des applications de moxas laissant au pourtour de l'organe des cicatrices profondes ; on avait labouré la nuque avec des sétons, on avait couvert le dos et les bras de larges vésicatoires ; en un mot, on avait torturé ces infortunés sous le vain prétexte qu'il faut faire quelque chose, que l'on ne sait pas ce qui peut arriver, que certaines tentatives (je voudrais que l'on me dise lesquelles ?) ont réussi quelquefois. Nous savons bien quel est le genre de succès obtenu en pareil cas, mais il n'y n'a rien d'absolument médical, et nous n'en parlerons pas ici. Rappeler tout ce qui a été fait dans ce genre de thérapeutiques entraînerait bien loin."

Communications à l'Académie de Médecine : Vertiges ou syndrôme de Menière

Séance du 8 janvier 1861 de l'Académie impériale de Médecine

La célèbre communication de Prosper Menière du 8 janvier 1861, devant l'Académie de médecine, qui donna à jamais à son auteur la célébrité, marqua la fin de son parcours. Menière s'appuyait non pas sur un cas mais sur toute une série d'observations.

Son mémoire intitulé Sur une forme de surdité grave dépendant d'une lésion de l'oreille interne . "Un appareil auditif jusque là parfaitement sain, peut tout à coup devenir le siège de troubles fonctionnels consistant en bruits de nature variable, continus ou intermittents, et ces bruits s'accompagnent bientôt d'une diminution plus ou moins grande de l'audition. Ces troubles ayant leur siège dans l'appareil auditif interne, peuvent donner lieu à des accidents réputés cérébraux, tels que vertiges, étourdissements, marche incertaine, tournoiements et chute..." Lorsque des vertiges s'accompagnent de surdité, "ils ne peuvent appartenir qu'à une lésion de l'appareil auditif interne et que la surdité qui est la conséquence de cet état pathologique en indique suffisamment le siège." Il précisait : "Nous avons établi sur des faits très nombreux que la lésion de certaines parties de l'oreille pouvait donner lieu à des vertiges, mais que la surdité n'en était pas la conséquence nécessaire."

Cette communication de Menière ne bénéficia pas d'une publication dans le bulletin de l'Académie, elle est citée dans la table des matières sous l'intitulé "surdité".

Séance du 15 janvier 1861 de l'Académie impériale de Médecine

Dans la séance du 15 janvier 1861 de l'Académie de Médecine, soit huit jours après la séance où Prosper Menière avait fait sa lecture, Armand Trousseau démantelait la congestion cérébrale apoplectiforme qui semblait admise par tous. Dans sa démonstration, Armand Trousseau évoquait l'analogie entre certaines crises de vertiges et les crises d'épilepsie. Il s'appuyait notamment sur la présentation de Menière qui, la semaine précédente, avait rapporté des manifestations évoquant une congestion cérébrale apoplectiforme mais qui n'étaient en fait que des symptômes d'atteinte de l'oreille interne. "Monsieur le docteur Ménière a observé depuis longtemps un grand nombre de malades qui sont pris subitement de vertiges, de nausées et même de vomissements, qui tombent à terre après avoir marché comme des gens ivres, et se relèvent difficilement, restent pâles, couverts d'une sueur froide, presque lypothimiques (sic), et voient se renouveler ces accidents un grand nombre de fois… Il est facile de constater alors qu'une oreille, souvent même les deux, sont singulièrement affaiblies, et M. Ménière a recueilli par centaines des observations établissant que ces prétendues lésions cérébrales sont bien véritablement des lésions de l'appareil auditif." Trousseau résumait parfaitement la clinique de la maladie de Menière telle qu'on la connaît actuellement et fut donc le premier médecin à la rapporter.

Rapports d'Armand Trousseau et de Prosper Menière

Prosper Menière avait fait son internat à l'Hôtel-Dieu et poursuivi ses activités hospitalières dans cet hôpital, hormis ses missions en province. Il avait pratiquement le même âge qu'Armand Trousseau. Agrégé de médecine en 1827, et médecin du bureau central en 1829, le médecin tourangeau était nommé aussitôt suppléant dans le service de Récamier à l'Hôtel-Dieu, alors que Prosper Menière était aide de clinique bénévole de Dupuytren.

En septembre 1861, la communication de janvier devant l'Académie de médecine était publiée dans la Gazette médicale sous le titre : Mémoire sur des lésions de l'oreille interne donnant lieu à des symptômes de congestion cérébrale apoplectiforme. En janvier, il mettait l'accent sur la surdité ; en septembre, les vertiges devenaient le centre d'intérêt, mais avec les mêmes observations.

Le mémoire de Menière, resté célèbre, montrait seulement le rôle de l'oreille interne dans certains vertiges, permettant de différencier les vertiges périphériques de ceux d'origine centrale, seule cause admise avant lui. Ce n'est qu'en 1874 que Jean-Martin Charcot décrira une maladie de l'oreille interne, associant une triade Vertige, Acouphène et Surdité, qu'il dédiera à son collègue »

Définition, symptomatologie du syndrôme ou maladie de Menière :

Il a donné son nom à la maladie éponyme. La maladie ou syndrome de Ménière est une atteinte de l'oreille interne se caractérisant par la triade de Ménière :
- Accès de vertiges de nature rotatoire survenant brutalement.
- Bourdonnements d'oreille.
- Surdité (allant de quelques secondes à quelques jours) que les spécialistes nomment hypoacousie unilatérale fluctuante.

Simon Duplay ( dans les Archives générales de médecine. - 1872. - 1872, série 6, n° 19, p. 711-722) officialise l'appellation de Maladie de Menière cette triade symptomatique. L'atteinte de l'oreille interne (hydrops labyrinthique) a été démontrée en 1938 par Hallpike, Cains et Yamakawa

 

Prosper Menière est mort à Paris d'une pneumonie grippale le 7 février 1862 à l'âge de 63 ans. Son fils, Émile Ménière, fut aussi oto-rhino-laryngologiste, médecin chef à l'Institut pour les Sourds.  

Sources

- Le parcours de Prosper Menière, créateur de la labyrinthologie par François Legent, Oto-rhino-laryngologiste à l'Université de Nantes, septembre 2011.

Prosper Menière et les vertiges, F. Legent, D. Gourevitch, E Verry, A. Morgon, O. Michel. Prosper Menière, auriste et érudit. Ed. Flammarion, Paris 1999