Baron Guillaume DUPUYTREN

1777-1835

Chirurgien et anatomiste français

Guillaume Dupuytren fut dès son plus jeune âge aventurier malgré lui avant de devenir incontestablement le plus grand chirurgien du XIXe siècle.

Guillaume Dupuytren fut surnommé:
• La bête de Seine
• Le brigand de l'Hôtel-Dieu
• L'avare qui voulait donner un million au roi
• Premier parmi les chirurgiens, dernier parmi les hommes
• Le Napoléon de la chirurgie

Guillaume Dupuytren est né le 5 octobre 1777 à Pierre-Buffière, Pierre-Buffièrepetite cité de caractère à une vingtaine de kilomètres de Limoges sur la route de Toulouse, au cœur de la Haute-Vienne.

Il n'avait que trois ans lorsqu'il fut enlevé par une voyageuse inconnue. Aussitôt en selle, le père poursuit la chaise de poste et réussit sans difficulté à récupérer son enfant.

Bientôt, un officier de cavalerie conduira à Paris Guillaume, âgé de douze ans seulement, pour qu'il y termine ses études secondaires, avec le consentement familial, cette fois...

Les perturbations politiques de l'époque ne sont pas sans incidences sur son esprit juvénile. Entendant parler de "Comités Révolutionnaires" et de "Patrie en danger", son esprit s'échauffe; il n'a plus qu'une idée en tête : s'engager dans l'armée.

Le père, avocat de formation, ne l'entend pas de cette oreille et le veut chirurgien. En 1793, il l'inscrit donc en toute hâte comme stagiaire à l'hôpital Saint-Alexis de Limoges (maintenant remplacé par le C.H.U. Dupuytren). Par la suite, Guillaume regagnera Paris où il aura pour maîtres Boyer et Thouret.

A l'époque des assignats et de la monnaie sans valeur, ce jeune homme, se fait de l'extrême pauvreté une compagne habituelle. Ses parents, aussi impécunieux que lui, étant impuissants à le secourir, il n'en poursuit pas moins son travail avec beaucoup d'énergie, voire d'ardeur. Le soir, au fond de sa chambre, Guillaume trompe sa faim et sa soif en parcourant - sans chandelle - des livres d'anatomie, de physiologie et de chimie, ne recherchant son délassement que chez Corneille ou Diderot. On a dit qu'il travaillait à la seule lueur donnée par la combustion de quelques lambeaux de graisse arrachés aux cadavres qu'il dissèque.

Malgré tout, il n'accepte en aucun cas d'être considéré comme indigent, et si certains, comme Saint-Simon, lui proposent leur aide, il met son point d'honneur à la refuser. S'égrènent alors quelques années d'un travail minutieux et d'une préparation attentive, durant lesquelles il se munit du savoir le plus étendu et le moins disparate. Il suit les cours à la Charité, la Salpêtrière, l'Ecole de Santé, et commence à attirer l'attention du monde médical parisien.

Premier poste, premier conflit

A l'âge de 18 ans, en 1794, il obtient un poste de prosecteur de l'Ecole de Santé, où il donne des cours d'anatomie qui étaient bien suivis, et il est responsable de toutes les autopsies de l'Ecole de médecine, ce qui lui permit d'acquérir le fondement de son futur centre d'intérêt. A 24 ans, en 1801, il est nommé Chef des Travaux d'Anatomie, il succède à Honoré Fragonard - directeur des recherches anatomiques de l'Ecole de Santé de Paris - mort en 1799. Il écrit une monographie d'anatomie pathologique basée sur ses découvertes d'autopsie. Il donnait également des cours de pathologie avec Antoine-Laurent-Jessé Bayle (1799-1858) et René-Théophile-Hyacinthe Laënnec (1781-1826) comme assistants. Laënnec et lui se séparèrent en très mauvais termes lorsque Laënnec découvrit que Dupuytren cherchait à tirer profit du travail de Bayle.

Son orgueil ne s'accommode pas de celui d'autrui. Son appétit de notoriété lui rend insupportable toute autre gloire que la sienne : il veut être le premier dans un village qui n'est autre que Paris. La mort de Bichat (1802) lui laisse le champ libre et lui inspire cette réflexion révélatrice de son caractère entier et dominateur: "Enfin, je commence à respirer."

En conclusion d'une démarche aussi obstinée, la consécration arrive à la longue : il conquiert enfin titres et honneurs dont se nourrissait - ou plutôt se grisait - son indigence encore toute récente.

L'obtention de son diplôme de l'Université de Paris fut retardé jusqu'en 1803, les écoles de médecine ayant été supprimées par le gouvernement Révolutionnaire Le 27 septembre 1803 il soutient sa thèse : "Propositions sur quelques points d'anatomie, de physiologie et d'anatomie pathologique."

La même année, il enseigne l'anatomie, et après concours il est nommé chirurgien assistant de l'Hôtel-Dieu.

Hôtel_Dieu à Paris
Hôpital de l'Hôtel-Dieu Place du Parvis à Paris

Premier parmi les chirurgiens, dernier parmi les hommes

Membre de la Société Anatomique co-fondée en 1803 avec Bayle et Laënnec; nommé Inspecteur Général à la création de l'Université en 1808; Professeur de Médecine Opératoire en 1811; Chirurgien-chef de l'Hôtel-Dieu en 1815; Membre de l'Académie Royale de Médecine à sa création en 1821; Chirurgien de Louis XVIII (qui le fait baron en récompense de ses services en 1816) puis de Charles X; et enfin Membre de l'Institut de France en 1820 (Académie des Sciences (section de Médecine et Chirurgie).

A l'Hôtel-Dieu il rentre immédiatement en conflit avec son supérieur, Philippe Jean Pelletan, qu'il finit par remplacer comme Chirugien-chef en 1815. Sous son autorité l'Hôtel-Dieu gagna en influence parmi les hôpitaux européens, durant les 20 ans pendant lesquels Dupuytren domina comme chirurgien-chef. Désormais, c'est un maître véritable, et il a le pouvoir. Il est infatigable dans sa dévotion à sa profession et eut une des plus importantes clientèles de tous les temps, et amassa une fortune considérable.

C'est parfois au risque d'imprudences folles qu'il veut éblouir et dominer. C'est ainsi que certains de ses confrères et amis critiquent son autoritarisme et se détachent de lui : parmi eux Laënnec, qui lui reproche de s'être approprié sans vergogne un certain nombre de découvertes faites avant lui par Xavier Bichat, il rédige avec une originalité cynique un Traité d'Anatomie Pathologique reprenant le plan et les travaux de son défunt confrère. Son maître Corvisart, en raison sans doute de son opposition au régime, ne retint pas son nom pour lui faire obtenir une place dans la Maison impériale et il se brouilla avec son vieux maître Boyer dont il refusa d'épouser la fille après lui avoir donné sa parole.

Dupuytren était impitoyable, une personnalté obsesso-compulsive, un perfectionniste absolu dans tout ce qu'il entreprenait. Il avait une énergie énorme. Chez lui, tout en impose : le physique et les attitudes. A l'hôpital, il ne parle qu'aux malades, ne condescendant à entendre les élèves que pour ce qui concerne leurs seuls devoirs de collaborateurs. Les questions l'indisposent. Ses ordres sont brefs et, par choix, il préfère être craint plutôt que d'être aimé.

Aussi ce n'est pas sans raison qu'il était connu de ses contemporains comme "Le Brigand de l'Hôtel-Dieu" (Jacques Lisfranc de St. Martin, 12/04/1787 - 12/05/1847) et "Premier parmi les chirurgiens et dernier parmi les hommes" (Pierre-François Percy, 1754-1825) et le "Napoléon de la chirurgie".

Cependant, quand l'ennemi est aux portes de Paris , Dupuytren est là avec ses étudiants pour soigner les blessés.

Travailleur acharné Guillaume Dupuytren

"Bête de Seine" était un autre de ses surnoms. Mettant ses méthodes de travail en accord avec ses ambitions personnelles. La journée commence à sept heures et s'enchaine discussions avec les collaborateurs, consultations, interventions, cours et suivi post-opératoire. Lui seul examine, traite, prescrit. Il procède à l'interrogatoire des malades, envers lesquels il fait preuve de douceur et de patience. Le caractère de probité de son enquête, la sûreté de son analyse, la force de sa logique fascinent et étonnent même les plus avertis.
Certes le clinicien est étonnant, mais l'opérateur ne l'est pas moins. Si ses mains sont sans adresse particulière, son sang-froid est proverbial.
"Dans une circonstance catastrophique, une jeune fille étant morte de l'opération, on le voit pâlir, puis méditer intensément et se trouver aussitôt, avec un à-propos sensationnel et un génie d'observateur, plus maître de lui que jamais, prêt à faire devant l'auditoire encore bouleversé, une admirable leçon sur les causes de cette mort, causes jusqu'à lui inconnues"...
Il éprouve comme tout autre cette douleur du médecin et ne se laisse jamais entraîner dans des émotions et des sensibleries communes...

Dupuytren consacre plusieurs heures par jour à l'enseignement, et prodigue sa science au secours des déshérités et pour l'enseignement de ses étudiants.
S'il semble parfois despotique, inflexible, hostile, il n'en a cure. De tout temps, ceux qui négligent leur devoir ou le simplifient ont eu un abord social moins rugueux que ceux qui prônent le dépassement des obligations, le culte de la responsabilité, l'action généreuse et l'ardeur de l'étude.

Ses succès soulèvent de terribles jalousies, que la supériorité ne peut guère éviter.

Nuit du 13 au 14 février 1820 : Assassinat du duc de Berry

Compte-rendu à la Chambre des Pairs sur les événements de la nuit du 13 au 14 février 1820, fait par Guillaume Dupuytren.
"Il était plus de minuit lorsque mon valet vint m'annoncer que Monsieur, frère du roi, était là, que Monseigneur le Duc de Berry était assasiné et qu'on m'attendait. M'habiller, monter en voiture, arriver à l'Opéra fut fait en quelques minutes. Je n'avais eu de ma vie l'honneur de parler au Prince. Cependant, du plus loin qu'il m'aperçut, il m'appela par mon nom, me tendit affectueusement la main et me dit : "Monsieur Dupuytren, je souffre cruellement !..." "Ses traits altérés, son teint plombé, son attitude forcée et pénible sur le côté droit du corps, sa respiration courte et fréquente, la plainte qu'il exhalait à chaque instant, la petitesse, la faiblesse et l'irrégularité de son pouls indiquaient assez la gravité de son état....."
"Il raccompagnait Madame la Duchesse de Berry qui ne désirait pas assister à la deuxième partie du spectacle lorsque tout-à-coup un homme s'est glissé entre la sentinelle et l'entourage du Prince, l'a assailli par derrière et lui a plongé un poignard dans la poitrine, un peu au dessous du sein droit.
La première sensation du Prince a été qu'il n'avait reçu qu'un coup de coude, mais immédiatement après, il a porté la main à sa blessure et s'est écrié "Je suis assassiné, je suis blessé à mort, je tiens le poignard !..."

...Transporté sur une banquette du corridor, il eut le courage et la force de retirer lui-même le poignard de sa blessure. La quantité de sang que le Prince a perdu ne fut pas considérable..... Après une syncope, l'état du Prince s'est progressivement amélioré, puis l'oppression et les douleurs ont reparu et tout indiquait le plus grand danger et la nécéssité d'agir promptement, si tant est qu'on dût agir...

"Plusieurs partis pouvaient être pris :
1- Fermer la plaie ;
2- Attendre les effets des traitements mis en usage ;
3- Continuer les secours qui avaient été donnés ;
4- Mettre un terme à l'épanchement qui était jusqu'alors la seule cause bien constatée des accidents.

Ce fut ce quatrième parti qui l'emporta, car il offrait plus de chances et était le seul qui permît d'arriver à la cause du mal.
Le consentement de Monsieur étant accordé, la nécessité d'opérer fut aussitôt communiquée au Prince, qui y consentit avec courage. Une incision fut faite à la peau. Cette opération avait conduit avait conduit à découvrir une ouverture dans toute la hauteur du 4ème espace intercostal ; elle avait confirmé l'existence d'un épanchement sanguin, mais n'avait pas fait découvrir d'où le sang était parti. Il était dès lors évident qu'on ne pouvait fonder aucun espoir raisonnable sur la continuation de secours de ce genre. Réduits au rôle d'observateurs passifs et probablement impuissants, il nous fallut répondre à toutes les questions d'une famille et d'une cour désolées et, sans les désespérer jamais, il fallait éviter de leur donner des espérances qui ne pourraient pas être réalisées"...

Celui qui voulait donner un million au roi

Au sommet de sa gloire, Dupuytren voyait 10.000 patients par an et était devenu très riche. Il était également connu pour sa pingrerie, aussi lorsque la "Révolution de Juillet" renversa finalement Charles X qui abdiqua le 2 août 1830, Dupuytren lui offrit un million de francs, précisant qu'il avait un autre million pour sa fille et un troisième pour ses vieux jours. Le roi, bien que ruiné, déclina l'offre. Dupuytren avait été fait baron par Louis XVIII après être devenu son chirurgien personnel, et avoir été appointé premier chirurgien de Charles X.

Echec aux législatives de 1831

Le 5 juillet 1831, il ressent durement l'ingratitude des électeurs en essuyant un échec aux élections législatives. "Maintenant que je suis bien désabusé des grandeurs et des vanités de ce monde, je vais terminer dans le travail une carrière que j'ai été prêt à leur sacrifier..."

Innovations Chirurgicales et création de la Chaire d'Anatomie Pathologique

En 1832, il publie les "Lecons orales de clinique chirurgicale" qui furent précieuses à ses contemporains chirurgiens. et donnent un panorama chirurgical assez complet de l'époque. C'est grâce à son action magistrale que l'Ecole Chirurgicale parisienne aura pendant vingt ans le renom qui faisait d'elle la première du monde. A l'origine d'innovations techniques et instrumentales, (résection du maxillaire inférieur, ligature de l'artère illiaque externe, incision d'abcès cérébral, détermination des six degrés de brûlures, anthrax, hernies étranglées, cataracte, lésions de l'épaule, le torticolis), il donnera son nom à une atteinte de la main et à un traumatisme osseux de la hanche. Tout cela à une époque où l'anesthésie se faisait au laudanum, le malade sanglé avec de solides cordes et des infirmiers musclés.

Mais surtout, s'inspirant des travaux de Morgagni et Bichat, il se fera le chantre de la méthode anatomo-clinique. Il fonde avec son ami Cruveilhier la Chaire d'Anatomie Pathologique de la Faculté de Médecine de Paris.

La maladie (ou contracture) de DupuytrenMaladie de Dupuytren

En 1831, le Baron Guillaume Dupuytren publie un article sur la rétraction des doigts par suite d'une affection de l'aponévrose palmaire appelé dès lors maladie de Dupuytren), dans le J. univ. hebd. méd. chir. prat. 1831. 5. 352-365 (cote 90244). Cette maladie avait été observé avant lui par Sir Astley Cooper (1768-1841) mais il semble que Dupuytren n'en ait pas eu connaissance. Quoiqu'il en soit Dupuytren fut le premier à réaliser que la lésion se trouvait dans l'aponévrose et non dans la peau ou les tendons, c'est la raison pour laquelle cette maladie porte son nom.

La maladie est liée à un épaississement de l'aponévrose palmaire, une structure située sous la peau de la paume de la main et des doigts. Cet épaississement s'accompagne d'une rétraction qui limite l'extension des doigts et peut infiltrer la peau. Habituellement, la rétraction des doigts ne s'accompagne d'aucune douleur.

La première intervention

C'est en 1831, soit quatre ans avant sa mort, que Dupuytren opéra la maladie qui porte son nom. Après avoir attendu, dans un premier temps, pendant plusieurs années dans le cas d'un homme qui souffrait d'une fibrose classique, Dupuytren disséqua la main malade, puis il opéra le cas d'un marchand de vin qui ainsi est entré dans l'histoire médicale.

L'opération consistait en une fasciectomie (libération chirurgicale des tendons) "la main du malade étant solidement fixée" en passant à travers une incision sous la peau. Après huit semaines le doigt reprenait des mouvements normaux.

Les "Leçons orales de clinique chirurgicale" publiées après sa mort rapporte 17 cas de maladie de Dupuytren avec leur étiologie, symptomatologie, diagnostic différentiel, traitement et résultats.

Fin de carrière

En novembre 1833, victime d'une attaque, il sent l'une de ses paupières et le coin de sa bouche se paralyser peu à peu. En 1834, après plus de 30 ans de travail ininterrompu, il trouve la force de se rendre en Italie, il peut y mesurer l'étendue de son renom. Toutefois, rentré épuisé à Paris, il n'a plus l'énergie de se rendre à l'hôpital, sa santé s'amenuise et il meurt à Paris, deux ans plus tard âgé de 58 ans. De son immense fortune il lègue 200.000 francs à la faculté de médecine pour créer la chaire d'Anatomie Pathologique. Celle ci a été finalement mise en place par la Faculté et l'argent a été affecté à la création du musée Dupuytren.

Pas d'amis

Bien que contemporain de grandes personnalités médicales comme Laënnec, Petit, Roux, Bichat, Larrey, et d'autres, son caractère difficile l'empêcha d'avoir des amis ou de laisser des disciples et Malgaigne écrira de lui : "On ne peut prétendre à la gloire quand on n'a visé que la célèbrité".

Il ne voudra pas quitter cette vie sans s'être délivré de la haine qu'il voue à Anthelme Richerand. Ce dernier, dans un célèbre discours à clef prononcé devant l'Académie de Médecine, aurait tracé du grand chirurgien un portrait odieux, peut-être inspiré par la crainte, la jalousie et la rivalité dans le renom. Sur son lit de mort, Dupuytren voudrait tenir de l'auteur lui-même ou bien une rétractation en bonne et due forme, ou encore l'assurance que le portait en question ne le visait pas. Les deux hommes se rencontrent en 1835 : ils tombent dans les bras l'un de l'autre. L'émotion de circonstance annule-t-elle les batailles et les rancœurs passées ?...

En philosophe désenchanté, Dupuytren parcourt son journal : "Je donnerai là-haut des nouvelles de ce monde..." Après avoir murmuré une dernière fois le prénom de sa fille Adeline non sans avoir refusé d'être opéré comme le lui propose Bouillaud qui le soigne : "Que faire de la vie ? La coupe a été si amère !..." le baron Guillaume Dupuytren s'éteint le 7 février 1835, il est enterré au cimetière du Père Lachaise, à Paris .

 

Il lègue à sa mort des fonds et des collections pour la création d'un musée d'anatomie, et des fonds pour la création d'une chaire d'anatomie pathologique destinée à son ami et disciple Cruveilhier .