Paul-Georges DIEULAFOY

1839-1911

Médecin et chirurgien français, Professeur de pathologie médicale, titulaire de la chaire de clinique médicale.

Dès ses débuts, Dieulafoy eut le désir d'avoir dans l'enseignement clinique le même prestige et dans la société la même prééminence que son Maître Armand Trousseau.

 

Service Dieulafoy

Né à Toulouse le 18 novembre 1839, il vint à Paris pour faire ses études médicales et d'emblée s'inscrivit dans le service de Trousseau dont il allait se faire remaqrquer au bout de quelques jours par l'exacte citation d'un vers d'Ovide qui avait fui la mémoire du Maître.

Interne des hôpitaux

En 1865 Paul-Georges Dieulafoy est reçu premier au concours de l'internat le 24 décembre 1865 et choisit d'être l'élève de Trousseau.
Une photographie de l'époque les montre à côté l'un de l'autre, Trousseau assis l'air digne et méditatif, Dieulafoy debout élégant et svelte, une opulente chevelure ondulée dominant sa figure longue et fine.

Témoignage de Proust
Marcel Proust dont le père était médecin, fait apparaître dans ses romans un savant mélange d'autobiographie et de fiction. Dans du "Côté de Guermantes" apparaît le professeur Dieulafoy, un personnage réel, appelé in extremis, comme un notaire, au chevet de la grand-mère. Le moins que l'on puisse dire est que Proust et le narrateur ne tiennent pas les médecins en haute estime.
"Mon père alla le recevoir dans le salon voisin, comme l'acteur qui doit venir jouer. On l'avait fait demander non pour soigner, mais pour constater, en espèce de notaire. Le docteur Dieulafoy a pu en effet être un grand médecin, un merveilleux professeur; à ces rôles divers où il excella, il joignait un autre dans lequel il fut pendant quarante ans sans rival, un rôle aussi original que le raisonneur, le scaramouche ou le père noble, et qui était de venir constater l'agonie ou la mort. Son nom déjà présageait la dignité avec laquelle il tiendrai l'emploi, et quand la servante disait: "Monsieur Dieulafoy", on se croyait chez Molière. A la dignité de l'attitude concourait sans se laisser voir la souplesse d'une taille charmante. Un visage en soi-même trop beau était amorti par la convenance à des circonstances douloureuses. Dans sa noble redingote noire, le professeur entrait, triste sans affectation, ne donnait pas une seule condoléance qu'on eût pu croire feinte et ne comettait pas non plus la plus légère infraction au tact. Aux pieds d'un lit de mort, c'était lui et non le duc de Guermantes qui était le grand seigneur. Après avoir regardé ma grand-mère sans la fatiguer, et avec un excès de réserve qui était une poilitesse au médecin traitant, il dit à voix basse quelques mots à mon père, s'inclina respectueusement devant ma mère, à qui je sentis que mon père se retenait pour ne pas dire: ""Le Professeur Dieulafoy".
"Il avait la souplesse d'un prestidigitateur à faire disparaître le cachet qu'on lui remettait, sans pour cela perdre rien de sa gravité de grand consultant à la longue redingote avec revers de soie, à la belle tête pleine d'une noble commisération"
"Sa lenteur et sa vivacité montraient que, si cent visites l'attendaient encore, il ne voulait pas avoir l'air pressé. Car il était le tact, l'intelligence et la bonté mêmes."

Le 14 mai 1869 il soutient sa thèse dont le sujet: "De la mort subite dans la fièvre typhoïde" attira d'emblée l'attention par la sagacité de son observation et le caractère saisissant de son exposé.
Peu après la même année, Dieulafoy perfectionna la thoracenthèse de Trousseau dans les pleurésies et il se fit connaître d'un plus vaste public en inventant un appareil pour évacuer les liquides pleuraux l'appareil à thoracenthèse qui porte son nom.

En 1872 il publie: "Diagnostic et traitement des épanchements aigus et chroniques de la plèvre par aspiration" après un Traité sur l'aspiration des kystes hydatiques du foie, et en 1873 il publie un Traité de l'aspiration des liquides morbides.

Cette invention s'inscrit dans l'ensemble de ses fameux travaux sur les pleurésies et l'on sait l'importance qu'il donna aux pleurésies enkystées, particulièrement à la pleurésie interlobaire. La finesse de ses examens cliniques lui permit de décrire les petits signes du mal de Bright (maladie inflammatoire, chronique et douloureuse du rein).

Description de l'appendicite

Il fut surtout l'un des premiers, à découvrir l'appendicite. A une époque où médecins et chirurgiens s'ignoraient trop souvent, il eut le grand mérite de mettre l'accent sur l'urgence chirurgicale et de réaliser ainsi un exemple de collaboration médico-chirurgicale dont l'avenir montra toute la fécondité.

Je vous livre ci-dessous une description clinique détaillée, d'une appendicite telle qu'elle a été observée par le Professeur Dieulafoy, chez une femme enceinte:

"Le 5 mai 1898, c'était un jeudi, je me trouvais dans une famille dont je suis depuis longtemps le médecin, quand on me pria de donner quelques conseils à une jeune femme qui venait d'être prise de douleurs abdominales. Cette jeune femme, grosse de cinq mois, avait auprès d'elle une garde qui parla de douleurs utérines, prélude probable d'une fausse-couche. Je me récusai, me jugeant incapable de donner un avis, en pareille circonstance, et je demandai qu'on fît aussitôt prévenir M.Pinard, ce qui avait déjà été fait. La mère de la malade insista néanmoins et me supplia de voir sa fille. La pauvre jeune femme souffrait cruellement, ses douleurs étaient accompagnées de vomissements, son état était angoissant et la garde qui l'assistait continuait à parler de contractions utérines. J'examine le ventre, je recherche avec soin le siège et l'origine des douleurs, et j'acquiers la conviction que les douleurs partent, non de l'utérus, mais de la fosse iliaque droite, au niveau de la région caeco-appendiculaire. Je poursuis l'examen et j'en arrive à conclure que cette jeune femme est atteinte d'appendicite; la localisation précise de la douleur au point de Mac Burney, la défense musculaire, l'hyperesthésie, rien n'y manque. M.Pinard voit la malade dans la soirée et porte le même diagnostic; il ne constate aucun travail du côté de l'utérus, il affirme nettement l'existence de l'appendicite et il me fait demander un rendez-vous pour le lendemain matin.

Que je vous dise d'abord comment les choses s'étaient passées. Dans le cours d'une excellente santé, au 5∞ mois de sa grossesse, cette jeune femme, sans avertissement, sans le moindre trouble intestinal antérieur, après avoir déjeuné de fort bon appétit, avait été prise vers une heure et demi de l'après-midi, de douleurs abdominales qui, peu vives au début, avaient acquis en deux heures, une très forte intensité. Les douleurs avaient été bientôt suivies de vomissements répétés. C'est à ce moment que j'avais vu la malade.

Le lendemain matin, nous constatons les progrès du mal, la nuit a été mauvaise, les douleurs ont été très vives, les vomissements ont persisté, la fièvre a été fort élevée et la température atteint encore 39 degrés. Nous jugeons, M. Pinart et moi, que nous sommes en face d'une appendicite à forme grave, et, malgré la grossesse, nous décidons l'intervention chirurgicale immédiate. A midi, le ventre est tendu, la défense musculaire se généralise, la péritonite est imminente ou déclarée, aussi l'opération est-elle décidée pour quatre heures.

Quand nous revenons, à quatre heures moins un quart, la famille que nous avions laissée quelques heures avant dans la tristesse et dans la consternation, nous reçoit maintenant avec des accents de joie non déguisée. Les visages sont souriants "la malade va mieux, nous dit-on, elle a eu une garde-robe naturelle, les douleurs ont en partie disparu, les vomissements ont cessé, la fièvre est presque tombée; la température est tombée de 39∞ à 37∞4. Ce qui dans l'esprit de la famille voulait dire :"Nous espérons bien qu'en face de ce nouvel état, vous n'allez pas donner suite à l'opération". Et cependant tout était préparé, l'interne tenait le chloroforme et l'opérateur n'attendait plus que sa malade.

Au premier abord, il faut le dire, le joyeux accueil de la famille nous avait un peu déconcerté bien des pensées nous avaient traversé l'esprit; notre diagnostic serait-il erroné? la malade ne serait-elle pas atteinte d'appendicite ? l'opération aurait-elle été indûment conseillée ? Voilà les moments difficiles de notre belle profession; prendre d'aussi graves décisions et en assurer la responsabilité, tel est le rôle auquel nous ne devons jamais nous soustraire quand notre conscience nous l'ordonne. Nous nous rendons auprès de la jeune femme, et après l'avoir examiné de nouveau, nous maintenons dans son intégrité notre diagnostic et notre verdict, que la famille accepte sans mot dire.

L'opération est immédiatement pratiquée. A l'ouverture du péritoine apparaît une péritonite diffuse, caractérisée par une notable quantité de liquide louche et roussâtre, sans tendance à l'enkystement. (...) J'ai vu bien des appendicites, j'ai assisté à bon nombre d'opérations, mais je ne me rappelle avoir jamais rien vu de pareil. L'appendice avait pris des proportions démesurées; il avait doublé de longueur et triplé de volume; il était énorme, turgescent, induré, en érection, avec deux plaques de gangrène (...). L'opération fut un succès..."

Ainsi la discussion sur le traitement de l'appendicite aiguë s'est poursuivie pendant un an. Dieulafoy décrivit une triade (douleur de la fosse iliaque droite, défense, hyperesthésie), suivi ou accompagné de vomissements et température. Dieulafoy avait déclaré: "le traitement médical de l'appendicite aiguë n'existe pas." Poirier précise: "on doit intervenir systématiquement aussitôt le diagnostic assuré ou même simplement soupçonné et l'on doit toujours enlever l'appendice."
Si les médecins appelés en consultation auprès de Gambetta avaient suivi l'avis de ces deux éminents médecins, l'homme politique n'en serait pas mort (31-12-1882), l'autopsie ayant confirmé le diagnostic de Dieulafoy.

Dieulafoy Pr P.G. Dieulafoyfit de nombreuses publications sur l'exulcération simplex de l'estomac son diagnostic et son traitement: l'intervention chirurgicale dans les hématémèses foudroyantes consécutives a l'exulcération simple de l'estomac ( Bulletin de l'Académie de médecine, Paris, 1898, 39: 49-84.)

Il ne fut pas seulement un fondateur dans la sémiologie clinique ou dans certaines indications opératoires, il le fut aussi dans le recours aux méthodes de laboratoire pour compléter l'examen du malade et aider au diagnostic.
Convaincu de l'importance des examens de laboratoire en médecine Georges Dieulafoy faisait pratiquer des analyses de sang et d'autres paramètres en plus de son propre examen clinique. Pour cela, il y a près d'un siècle, il fit équiper sa clinique de l'Hôtel-Dieu de Paris de laboratoires.

Dieulafoy fut aussi un éminent professeur. Sa renommée était telle que chaque samedi l'amphithéâtre Trousseau où il dispensait ses cours se remplissait non seulement d'élèves et de médecins mais aussi d'un public moins averti représentant le monde des arts et des lettres.
Avec une allure toujours jeune et alerte, il plaçait lui-même, avec préséance, ses illustres visiteurs.
Puis il commençait sa leçon. Il exerçait malgrè son autoritarisme un certain charme. Il savait tenir son auditoire attentif et en suspens tout autant par par la tonalité de sa voix, par l'élégance de son geste que par des hardiesses ou des curiosités de présentation qui gravaient à jamais dans l'esprit la singularité d'un cas ou les traits dominants d'une maladie. Le "Manuel de pathologie interne" qu'il rédigea entre 1880 et 1884 et les six volumes de "cliniques" qu'il publia entre 1899 et 1910 furent, pendant plus de vingt ans, les sources où les jeunes médecins vinrent puiser leur formation.

A propos d'un régime alimentaire:
Une diète sévère était à la fin du XIX e siècle fréquemment prescrite pendant les maladies sérieuses.
Dieulafoy rendant visite à une jeune fille convalescente de fièvre typhoïde , permit une reprise progressive de l'alimentation et autorisa une pomme.
La mère: "Docteur, ma fille préfère les poires, est-ce important?"
Dieulafoy indigné: "Madame voulez-vous la tuer?"
S'agit-il de naïveté du médecin ou d'une simple ironie?

L'hépatite épidémique: La jaunisse suit les armées en campagne; des épidémies apparaissent sur les lieux où les troupes se regroupaient, on parla alors de jaunisse des "camps". Georges Dieulafoy en 1898, parlait de "l'ictère vernal ou automnal"

Il avait pour habitude d'arriver chaque matin à l'Hôtel-Dieu dans un coupé à deux chevaux que le cocher faisait entrer au galop sous le porche de l'hôpital après un savant virage sur le parvis de Notre-Dame.

Habillé d'une élégante redingote, il donnait ses consulations avec une allure un peu solennelle qui peut sembler d'un autre temps mais qui contribuait à imposer le respect de la médecine à la société.

Dans Germinal, Pour décrire la mort du Dr Pascal causée par une angine de poitrine Zola a utilisé le Manuel de pathologie interne de Georges Dieulafoy, la documentation médicale a aidé le romancier naturaliste à ancrer ses récits dans le "réel" ou plus exactetement dans "l'illusion référentielle".

Il fut élu Président de l'Académie de médecine en 1910.

Dieulafoy est décédé le 16 août 1911 à Paris, à un moment où le progrès des sciences et l'évolution des mœurs peuvent changer la vie.

 

Sources

- Cliniques médicales de l'Hôtel Dieu à Paris (1897) par Georges Dieulafoy (1839-1911)

- Etude sur l'appendicite, Dieulafoy, (La Presse Médicale 1896, p.12)

- Germinal, Emile Zola

- A la recherche du temps perdu, Le côté de Guermantes Marcel Proust

- Histoire de la Médecine par Maurice Bariéty et Charles Coury , Fayard Editeur.

- Traité de l'aspiration des liquides morbides. Méthode médico-chirurgicale de diagnostic et de traitement. Paris, Masson and Londonm, 1873. 483 pages.

-Manuel de pathologie interne. Paris, 1880-1884.

- Histoire d la Médecine et des Médecins Jean-Charles Sournia Larousse éditeur.