Pierre-Fidèle BRETONNEAU

1778-1862

Clinicien français

"C'est en reliant le caractère de chaque maladie à une cause précise que Bretonneau prépara les médecins à l'avènement des sciences bactériologiques et permit ainsi à la doctrine de la spécificité de s'enraciner profondément dans la philosophie médicale." Dubos

Provincial dénué d'ambition, Bretonneau fit toute sa carrière en Touraine et ne passa son doctorat qu'à l'âge de 36 ans, il figure parmi les plus grands cliniciens français du XIXème siècle; il s'acharna, en application de la confrontation anatomo-clinique, à décrire les symptômes et les signes de maladies méconnues jusque-là.
Mais quand la passion d'une idée juste et le désir de la vérifier s'emparent d'un homme à l'intelligence curieuse, ils peuvent faire de lui le héros d'une épopée à laquelle ne manquent ni les éclairs du génie, ni la rigueur de la méthode, ni la force du raisonnement, ni même, en certains moments, le "goût" du scandale.

Né à Saint-Georges-sur-Cher, le 3 avril 1778, descendant d'une longue lignée de médecins, contemporain de Laënnec, Bretonneau fut parmi les grands cliniciens un des plus brillants et peut-être aussi le plus original. Enfant, il s'instruit seul en admirant sa Touraine natale, avant d'être confié à un précepteur quelque peu brutal avec lui, dont il n'oubliera pas que l'une des corrections du terrible précepteur lui valut à la fois d'avoir une oreille déchirée et de savoir redouter la faveur des hommes.

A 17 ans, il est dirigé par le district de Saint-Georges vers Paris pour suivre les cours de l'Ecole de Santé, créée par la Convention, le 14 frimaire de l'An III. Cuvier, Corvisart, Pinel, suscitent son admiration pour les Sciences Naturelles et la Biologie.

Sa santé est précaire; il n'a accompli qu'un peu plus de deux années d'études quand il repart se reposer en Touraine. L'air de Paris ne semble pas lui convenir.

On le présente alors à la Châtelaine de Chenonceaux, Madame Dupin, sauvée miraculeusement des révolutionnaires. Cette nonagénaire, accueillante complète la formation déficiente de l'étudiant; il s'enrichit entre autres de cette maxime empruntée aux encyclopédistes : "Ce que l'on sait, souffre de ce que l'on ne sait pas."

A la mort de Madame Dupin, nous sommes en 1799, il revient à Paris, reprend ses études théoriques à l'Ecole de Santé mais y ajoute tout un luxe de divertissements: il souffle le verre, étudie la dilatabilité du mercure, fabrique des baromètres, des thermomètres, expérimente des endoscopes. Il est repoussé injustement à son troisième examen de doctorat; il s'indigne, se décourage et refuse de poursuivre des études déjà accidentées. Il renonce au Doctorat autant par orgueil et dépit, que par modestie.
En 1801, Il décide sans aucune prétention de ne rester qu'un simple Officier de Santé, praticien à Chenonceaux.

Jusqu'en 1814, c'est là qu'il fera ses premières armes, notable estimé, le préfet Pommereul, dont il était le médecin, le nomme maire en 1803. Il a l'occasion de rencontrer des personnages de la haute société, tel l'ancien ministre Chaptal, propriétaire de Chanteloup. Passionné par la botanique et l'horticulture, Bretonneau l'officier de santé n'en restait pas moins d'abord un homme de médecine, convaincu de la nécessité de la vaccination gratuite.
A cette époque la variole faisait des ravages. Dès 1803 les bons résultats dus à sa campagne de vaccination lui assurèrent une certaine renommée : "Sur plus de trois cents enfants que j'ai vaccinés depuis six mois, je n'en ai pas eu un seul grièvement incommodé et... la certitude de ce préservatif est mise ici dans tout son jour par une épidémie variolique qui n'épargne que les vaccinés."

Par gratitude ou par assentiment il épouse Mademoiselle Adam, héritière de Madame Dupin et de 25 ans son aînée.

Bretonneau

A côté de son cabinet de travail, il installe un atelier de tourneur, un laboratoire de chimie et d'histoire naturelle, il étudie la vie des abeilles et des fourmis; savant horticulteur, il créera plus tard le parc de Palluau où il peut passer de loisibles journées éloigné du monde.

Cependant, comme médecin, aucune désinvolture ne contrarie sa profession. Quand un problème clinique est difficile il en cherche la solution avec tout le temps d'une enquête rigoureuse. Il rassemble ainsi une documentation scientifique importante, qui bientôt le pousse à étudier les maladies fébriles pour lesquelles il aura une conception très nouvelle. Il devient petit à petit, le praticien le moins soucieux de gain, le plus curieux de toujours s'instruire, que village français n'ait jamais connu.

Aux yeux des simples, son dévouement, sa charité et son désintéressement font tout son prestige; pour les autres, il est invention, expérience pittoresque, fantaisie, modestie, qui en font un homme rare que l'on s'étonne et s'émerveille de rencontrer ainsi isolé dans sa campagne.

Le neveu de Madame Dupin, et le Préfet de Tours l'engagent à reprendre ses études pour acquérir le titre de Docteur. C'est à regret qu'il repart pour Paris, apprend le latin, lit les vieux auteurs, passe sa thèse en 1815, il a 36 ans, après qu'il ait été exempté des trois premiers examens, il ne passa que le 4me et le 5me en latin. A la fin de la même année, ses amis et ses admirateurs ont tout arrangé pour qu'il soit nommé médecin de l'hôpital de Tours. Il songe cependant à démissionner, s'en ouvre à sa femme prétextant qu'il préfère le doux désordre de sa maison de Chenonceaux aux gens, dont les procédés haineux rempliraient sa vie d'amertume.

Les épidémies de 1818 et 1819 lui donnent l'occasion d'affiner ses recherches sur le sujet tabou de la contagion, en l'occurrence celles de la fièvre typhoïde et de la diphtérie et d'entreprendre d'admirables recherches.

Typhoïde:

Il vérifie les lésions que décrivirent Prest puis Petit et Serres. Il découvre que le signe anatomique caractéristique de la maladie siège sur la tunique interne de l'intestin grêle et que, passant par des états successifs, de tuméfaction, boutons, ulcérations, on avait décrit des maladies différentes qui n'étaient en fait que des formes cliniques. Seul, sans équipement, sans aucun collaborateur, il aura été plus loin que ses collègues de Paris dans l'identification de la fièvre typhoïde. Il crée pour la maladie le terme de dothiénentérite. Les trois points : siège intestinal, unité et spécificité sont une conquête capitale. Il avait même dicté avant Pasteur et Lister les précautions antiseptiques dont il fallait s'entourer en présence de telles affections.

Diphtérie:

Il va également mener des travaux pour les angines malignes jusqu'ici décrites selon l'aspect des amygdales: angines rouges, phlegmoneuses, putrides, couenneuses, etc Il créée le nom de "diphtérie" dont il fait l'unité et affirme la spécificité dont la fausse membrane dite alors pellicule fibrineuse est caractéristique. C'est une maladie contagieuse, puisque le personnel de l'entourage de Bretonneau l'a contractée.

Il fait sa communication à l'Académie de Médecine en 1821. Mais il va trouver des contradictions insultantes en ses compatriotes et ses confrères de la ville. On conteste les descriptions des lésions, on nargue leur auteur et l'on se prive ainsi du plaisir d'admirer plutôt que de rendre justice à un confrère et de reconnaître ses services.
Cependant Bretonneau est vivement soutenu dans son action par quelques-uns de ses élèves : Velpeau en particulier, qui va devenir le confident et le compagnon d'une singulière aventure: il s'agit d'aller la nuit au cimetière de la ville, voir la gorge des enfants enterrés le jour même ou la veille et, de consigner avec exactitude le siège exact, l'aspect, l'étendue de leur lésion. Rien dans cette scabreuse entreprise qui semble mettre en doute la parole des vivants, et troubler le repos sacré des morts ne peut arrêter le savant et son interne. La vérité que scellera un bienfait universel ne vaut-elle pas le reproche d'indécence qui leur sera certainement réservé, et les embûches, les représailles qu'ils peuvent imaginer. Il escalade la nuit les murs du cimetière, s'enfonce en tâtonnant dans un silence et une ombre de tragique réprobation. Il arrive que des voisins, alertés par ses activités profanatoires, tirent des coups de feu sur les ombres de ces malandrins nocturnes, mais Bretonneau, insoucieux du scandale, sait maintenant qu'il n'y a aucune différence entre les angines qu'il a vues à l'hôpital et celles que les autres médecins soignent en ville.

A Paris, Broussais conteste, mais ces affirmations n'y changeront rien. La vérité qui est moins bruyante, s'avance pas à pas. C'est avec la voix modérée des vrais savants et l'imperceptible ironie de l'assurance que Bretonneau déclare "que devant une telle masse de faits, il n'y a peut-être pas de vérité mieux démontrée et plus féconde, c'est sur la notion plus ou moins exacte ou confirmée d'un caractère spécifique qu'à toujours reposé le diagnostic de la plupart des maladies."

C'est l'ensemble de ses travaux qui l'amèneront à mettre en évidence la notion de spécificité morbide liée à la contagion par germe : "Un germe spécial, propre à chaque contagion, donne naissance à chaque maladie contagieuse. Les fléaux épidémiques ne sont engendrés, disséminés que par leur germe reproducteur", conclura-t-il en 1855
Dans son "Traité de la diphtérie", il s'étonnera ainsi "de n'avoir pas compris plus tôt que les sinapismes, les pédiluves, les purgatifs, les lavements irritants étaient des moyens sans rapport et sans proportion avec la nature du mal". Cette nouvelle vision de la médecine fut évidemment enseignée par le maître auprès de ses élèves, dont les plus illustres seront Velpeau et Trousseau.

L'oeuvre de Bretonneau ne se réduit pas là. Il a également innové en proposant la trachéotomie dans le croup, la quininisation dans le paludisme, le traitement par l'huile de foie de morue dans le rachitisme, la belladone dans les douleurs viscérales. Sa méthode dépasse même le cadre de l'enseignement et de l'observation scrupuleuse que ses successeurs ont su parfaitement développer.

A l'âge de la retraite, il se retire dans son domaine de Palluau, où il retrouve la poésie des bois, des fleurs et des jardins, les abeilles, les fourmis, les greffes des cerises de Livourne, sur des saintes Lucie.

A 79 ans, il épouse une jeune fille de 18 ans, et renouvelle ainsi par un écart inverse l'étonnement que son premier mariage avait provoqué.

Atteint par des formes sporadiques de sénilité mentale et retiré dans son appartement parisien, Bretonneau s'éteignit à Passy en 1862.

Ses obsèques, se firent en grande pompe.

Parmi les grands hommes que connaît la France,il se fait remarquer par la grâce de sa discrétion et sa flamme de vérité.