Madeleine BRÈS née GEBELIN

1842-1925

Première femme médecin en France

Le rôle de l'école dans l'émancipation des femmes et les modalités d'accès des femmes à l'enseignement supérieur sont aujourd'hui bien connus. Il faut attendre le XIXe siècle pour voir une femme reçue à Paris, c'est une anglaise, Miss Elisabeth Garrett née à Londres en 1836 et qui obtint le doctorat en 1870. La première française est Madeleine Brès née Gebelin, reçue à l'âge de 33 ans en 1875.

Quelques chiffres :
En 1868, les jeunes filles sont autorisées à étudier la médecine.
En 1875, Madeleine Brès est la première femme médecin en France
En 1886, Augusta Klumpke est la première femme à devenir interne des hôpitaux de Paris.
En 1897, Henriette Mazot est la première interne en pharmacie.
En 1897, Marie Kapsevitch est la première diplômée vétérinaire.
En 1903, Marie Curie est la première femme à recevoir le prix Nobel.
En 1907, est créée la première école d'infirmières à l'hôpital de la Salpêtrière.

Madeleine Gebelin, épouse Brès est née à Bouillargues dans le Gard, en France, le 25 novembre 1842. Elle est la fille d’un charron de Bouillargues.

C'est à l'Hôpital de Nimes que naquit sa vocation médicale. L'intérêt de Madeleine Gebelin pour les soins lui est venu dès l'âge de 8 ans, lorsqu'elle accompagnait son père, appelé fréquemment pour des travaux à l'Hôpital; prise en affection par l'une des religieuses, elle suivait, revêtue d'un grand tablier blanc, le service du médecin et donnait aux malades la tisane et le bouillon, et fière lorsqu'on lui confiait le soin de confectionner un cataplasme. Et déjà elle songeait à consacrer sa vie à la guérison ou au soulagement des malades.

Comme il était fréquent à l'époque, elle est mariée très jeune, à l'âge de quinze ans, et prend ainsi le nom de Brès.

Elle décide de devenir médecin.

Le parcours de la combattante

A Madeleine Brèsla fin du XIXème siècle, toutes les obtentions de diplôme devaient avoir le consentement du mari, les femmes mariées étant jugées irresponsables par le droit français de l'époque. Par ailleurs les jeunes filles ne pouvaient sortir qu'accompagnées d'un chaperon qui les suivaient jusque dans les amphithéâtres. Et les tenues des étudiantes sont examinées de près. D'un point de vue vestimentaire, la féminité doit être bannie. Avoir un cerveau et être élégante, être coquette : ce n'est pas permis. Ces attributs sont réservés à la femme qui reste à la maison et non à celle qui étudie ! Inimaginable, mais à cette époque, être belle et intelligente, ça paraît impossible.

En 1866, M. le professeur Charles-Adolphe Wurtz, doyen de la Faculté de Médecine, vit arriver dans son laboratoire une jeune femme qui lui tint à peu près ce langage
- Je désire me consacrer à soigner les femmes et les enfants; je viens M. le Doyen, vous prier de vouloir bien m'autoriser une inscription pour obtenir le diplôme de docteur en médecine.
Mouvement d'étonnement de l'illustre professeur.
- Vous voulez, Madame, faire vos études médicales ? Mais avez-vous vos grades universitaires, vos baccalauréats ?
- Non, M. le doyen, mais qu'à cela ne tienne…Je les aurai.
- De quel pays êtes-vous?
- Du Midi.
- Je m'en doutais
- Eh bien, jeune femme, votre audacieuse entreprise m'intéresse; travaillez avec courage, et lorsque vous serez bachelier, revenez me voir, je serais heureux de vous donner votre première inscription.

Trois ans après cette entrevue Madeleine Brès revint auprès du Doyen, munie du baccalauréat, et dix ans plus tard elle soutenait sa thèse de doctorat.

•Elle doit d'abord obtenir l'accord de son mari pour présenter le baccalauréat ès-sciences, qu'elle obtient en tant que candidate libre.

• Son inscription à la Faculté de Médecine de Paris en 1868 intervient au terme d'un combat romanesque (Charrier 1931, p289-290). L'accord de son mari, Adrien Brès, est accordé le 24 octobre 1868 devant le maire du Ve arrondissement de Paris, alors qu'elle est âgée de 26 ans, elle parvient donc à s'inscrire à la Faculté de médecine de Paris grâce à l'intervention de l'impératrice Eugénie et au soutien de Victor Duruy, alors ministre de l'instruction publique.

L'impératrice Eugénie a fait avancer la cause des femmes. Ainsi elle préfère refuser une parure de diamants d'une valeur de 600 000 francs or pour créer un établissement d'éducation gratuite pour des jeunes filles orphelines pauvres. Le bâtiment sera édifié sur l'emplacement de l'ancien marché à fourrage du Faubourg Saint-Antoine dans le XIIème arrondissement de Paris.

 

• Lors de la guerre de 1870 puis de la Commune, comme beaucoup de femmes, Madeleine Brès va faire le travail d'hommes partis à la guerre. Et tandis qu'à cette époque les femmes ne sont pas autorisées à se présenter au concours, sur la proposition de Monsieur le professeur Pierre Paul Broca, elle va remplir les fonctions d'interne provisoire à la Pitié, pendant les deux sièges de Paris. A son sujet le professeur Broca écrit:

"Madame Brès est entrée dans mon service en qualité d'élève stagiaire en 1869. Au mois de septembre 1870, l'absence de plusieurs internes appelés dans les hôpitaux militaires, nécessitait la nomination d'internes provisoires. Madame Brès sur ma proposition fut désignée comme interne provisoire. En cette qualité, pendant les deux sièges de Paris et jusqu'au mois de juillet 1871, elle a fait son service avec une exactitude que n'a pas interrompu le bombardement de l'hôpital. Son service a toujours été très bien fait et sa tenue irréprochable. Madame Brès s'est toujours fait remarquer par son zèle, son dévouement et son excellente tenue. Elle nous a particulièrement secondés pendant la dernière insurrection. "

Après ce récit des événements, Broca ne tarit pas d’éloges, sur sa disponibilité et son sérieux, mais aussi sur ses capacités de médecin. Jules Gavarret, Constant Sappey, Paul Lorain, et Charles Adolphe Wurtz font également son éloge dans un rapport commun :

"Par son ardeur au travail, par son zèle dans le service hospitalier, nous nous plaisons à reconnaître que Mme Brès a, par sa tenue parfaite, justifié l'ouverture de nos cours aux élèves du sexe féminin et obtenu le respect de tous les étudiants avec lesquels elle s'est trouvée forcément en rapport."

 

• Elle est alors mère de trois enfants et déjà veuve. Cependant lorsqu'elle va demander à concourir à l'externat puis à l'internat, l'autorisation lui sera refusée par le conseil de surveillance de l'AP-HP, le directeur de l'administration de l'Assistance publique, malgré des pétitions et des manifestations en sa faveur, lui refuse ce droit au motif suivant : "S'il ne s'était agi que de vous personnellement, je crois pouvoir dire que l'autorisation demandée eut été probablement accordée…"

Le 3 juin 1875, à l'âge de 33 ans, elle soutient sa thèse, préparée dans le laboratoire du professeur Wurtz, dont le titre est "De la mamelle et de l'allaitement", elle est reçue avec la mention "extrêmement bien". Cinq ans après l'Anglaise Elizabeth Garrett Anderson qui a soutenu une thèse sur la migraine. L'illustre professeur, encore doyen de la Faculté , tint à l'honneur de la présider, et, pour bien indiquer le travail et le courage de la jeune femme, dans un langage simple et élevé, il rappela à l'auditoire les circonstances dans lesquelles il avait reçu la première visite de Madame Madeleine Brès. Elle y mentionne avoir été déterminé "depuis toujours à s'occuper d'une manière exclusive des maladies des femmes et des enfants" "et à étudier la question de l'alimentation des enfants d'une façon toute particulière".

Madeleine Brès devient ainsi la première femme française médecin de la Faculté de médecine de Paris :
"Doyenne des Femmes-Médecins de France" .

Par la suite, les pétitions qui suivront aboutiront à l'Arrêté préfectoral du 17 janvier 1882 : "Les femmes sont admises à prendre part au concours de l'externat sous la réserve formelle qu'elles ne pourront, en aucun cas, se prévaloir de leur titre d'élèves externes pour concourir à l'internat". Puis l'Arrêté préfectoral du 31 juillet 1885 : "Les élèves externes femmes qui rempliront les conditions déterminées par le règlement sur le service de santé seront admises à prendre part au concours de l'internat. Les internes femmes seront soumises à toutes les règles d'ordre intérieur et de discipline qui concernent les internes hommes".
Cette décision déclenche une très violente campagne de presse et une quasi émeute le jour du concours...

Madeleine Brès se spécialise dans la relation mère-bébé et l'hygiène des jeunes enfants. L'Association Philotechnique la charge d'un cours d'hygiène. La ville de Parislui confia le soin de faire, aux directrices des écoles maternelles, des conférences sur l'Hygiène de la première enfance. En 1891, le Ministre de l'Intérieur lui donna la mission d'aller étudier, en Suisse, l'organisation et le fonctionnement des crèches.

Elle exerce alors à Paris, dirige un journal : "Hygiène de la femme et de l'enfant", et publie des ouvrages de puériculture. Docteur en médecine avec quatre enfants elle se dévouera, en tant que précurseur, à la médecine de la femme et de l’enfant pendant 50 ans. En 1880, grâce au généreux concours de quelques femmes reconnaissantes, elle fonde aux Batignolles une crèche modèle.

Avant de finir aveugle, pauvre et oubliée.

Elle décède à Paris en le 30 novembre 1925.

Plusieurs écoles maternelles et crèches en France portent son nom.

Les femmes à la faculté de Médecine

Dans l'article de Mme Sorrel-Déjerine, on peut lire qu'à la faculté de médecine, les « internes en chignon » sont refusées fin XIXème, début XXème siècle, et qu'on leur réserve des places isolées et regroupées dans l'hémicycle, où elles sont « ...bombardées de projectiles par les étudiants ». Dans ce même article, on découvre également que les nouvelles étudiantes doivent attendre dans le vestiaire le professeur pour entrer dans l'amphithéâtre et qu'elles sont souvent huées et insultées par les étudiants. En 1867, le Conseil de l'instruction Publique se prononce contre l'entrée des femmes dans la médecine, jugeant cette admission contraire aux mœurs et aux conditions sociales. En fait, les préjugés sont nombreux. La femme-médecin est décriée. Une image cliché de la femme médecin apparaît. Accoutrée d'un tablier plein de sang, toute grâce et féminité lui sont reniées. On la présente comme un monstre hermaphrodite. Les arguments de ceux qui souhaitent écarter les femmes des études supérieures de médecine sont les suivants.
- La nature faible de la femme est invoquée pour dire qu'elle n'a pas la force physique nécessaire au métier de médecin.
- Il est fait allusion à ses menstruations, pour dire qu'elle est encore plus faible une fois par mois.
- La nature sensible de la femme est également considérée comme un obstacle. Selon certains la vue du sang, des corps découpés, de la saleté lui seront difficilement supportables.
- Par ailleurs on se demande comment enceinte, elle pourra avec son gros ventre s'approcher de ses malades.
- Enfin certains discours s'opposant à l'admission des femmes évoquent son caractère orgueilleux et ambitieux. L'étude et la pratique de la médecine demande des qualités viriles, aux antipodes de la femme, comme le remarque Richelot, G. dans son livre La femme-médecin, où il est dit « Pour être médecin il faut avoir une intelligence ouverte et prompte, une instruction solide et variée, un caractère sérieux et ferme, un grand sang froid, un mélange de bonté et d'énergie, un empire complet sur toutes ses sensations, une vigueur morale, et au besoin, une force musculaire. (…) Ne sont-elles pas au contraire de la nature féminine."

Il faut attendre l'arrêté préfectoral du 17 janvier 1882 pour que les femmes soient admises à prendre part au concours de l'externat sous la réserve formelle qu'elles ne pourront, en aucun cas, se prévaloir de leur titre d'élèves externes pour concourir à l'internat. Et avec l'arrêté préfectoral du 31 juillet 1885, les femmes peuvent s'inscrire au concours de l'internat :« Les élèves externes femmes qui rempliront les conditions déterminées par le règlement sur le service de santé seront admises à prendre part au concours de l'internat. Les internes femmes seront soumises à toutes les règles d'ordre intérieur et de discipline qui concernent les internes hommes.". Ces deux décisions déclencheront une très violente campagne de presse voire une quasi émeute le jours du concours.

A la rentrée de 1884 à la faculté de médecine de Paris, les femmes atteindront la centaine. A la rentrée scolaire de 1887 sur les 114 femmes inscrites, seules 12 sont Françaises, 70 sont Polonaises, 8 Anglaises, et il y en a une venant d'Amérique du Nord, une venant d'Autriche, une venant de Grèce et une venant de Turquie.

 

Sources

- Communication au colloque Histoire/Genre/Migration, Paris mars 2006 (Pierre Moulinier)

- Figures Contemporaines Tirées de l'Album Mariani 1er volume Ernest Flammarion Editeur

- BIUM

- Revue de l'enseignement secondaire des jeunes filles, 15 mai 1894, article de P. Sonday : « Les femmes à la Sorbonne ».

- Mme Sorrel-Dejerine, « Centenaire de la naissance de Melle Klumph », Association des femmes médecins, 1959, n°8, p. 14

- Richelot, G. La femme-médecin, Paris : E. Dentu, 1875, p.43 et suiv.