Jules-Émile PÉAN

1830-1898

Chirurgien français.

Jules-Emile Péan est un glorieux et surprenant précurseur de l'asepsie. Chirurgien acharné, âpre au travail autant qu'aux gains, maniaque de la propreté, Péan avait foi en sa triple mission : envers ses malades, d'abord, ses élèves et, enfin, envers la science. Mais pourquoi cet entêtement pour s'opposer à son contemporain, Pasteur ?

Jules-Emile Péan est né le 29 novembre 1830 à Marboué près de Châteaudun. Son père Jean-Pierre Péan, un meunier-farinier beauceron de Marboué près de Châteaudun, en Eure-et-Loir, voulait faire de lui un notaire. Mais à l'occasion de tournées faites avec un médecin de campagne il découvrit sa vocation et n'eut pas de peine à convaincre ses parents pour lui permettre d'engager ses études de médecine à Paris.Jules Péan

Il arrive à Paris en 1851, étudiant studieux, il est l'élève de l'urologue Auguste Nélaton, l'inventeur des sondes souples en caoutchouc. Il est nommé au concours d'internat de 1855, il entre à l'hôpital Saint Louis la même année.

Opiniâtre au travail, toute sa vie il ne fit que travailler, douze à quinze heures par jour, parfois davantage. Il disait lui-même : "Je n'ai connu qu'un moyen pour faire mon chemin dans le monde, c'est le travail". Débarqué à Paris, sans aucune relation, il ne dut qu'à son travail personnel sa notoriété internationale.

Il opéra dans de nombreux hôpitaux parisiens: Sainte-Eugénie (Trousseau), Lariboisière, Lourcine (Broca), Val-de-Grâce et surtout Saint-Louis.

Vers 1860, on assiste à une amélioration des techniques d'anesthésie: le masque à l'éther remplace le tampon de tissu imbibé de chloroforme; cette nouvelle technique permit de mieux contrôler et d'allonger si nécessaire la durée des interventions.

Intervention sur un kyste de l'ovaire

Sa notoriété commence en 1864 par la guérison d'une femme de trente ans, porteuse d'un kyste de l'ovaire de dix kilos. Il l'opère dans une des pièces du petit logis de la patiente rue Lepic, aux Batignolles, transformée en salle d'opération. Trois semaines plus tard, elle est sur pieds.
Cette observation publiée à l'Académie de Médecine y provoqua des sentiments mitigés où la stupéfaction se mêlait à l'incrédulité. La mortalité à Paris dans cette indication chirurgicale était proche de 100% si bien qu'on voyait parfois ces kystes atteindre vingt, voire même cinquante kilos sans qu'on envisage d'intervenir. Péan ramena la mortalité de cette intervention à 15/20 % pour finir par atteindre 3/4 % à Paris. Il est juste de noter qu'à Strasbourg, Koeberlé avait déjà réalisé avec succès des ovariectomies dès le 2 juin 1862.

Adepte de la propreté et de pinces hémostatiques à forcipressure.

Péan était contemporain de Pasteur. Cependant par une erreur de jugement qui aujourd'hui apparaît incroyable, comme d'autres il s'opposa à Pasteur. Il ne conçoit pas que Pasteur lui apporte l'explication scientifique de sa réussite. Cette opposition constitue un nouvel exemple de résistance au progrès qu'on aimerait comprendre pour ne pas y succomber.

C'est en 1868 que Péan contribue à l'amélioration de l'hémostase au cours des interventions chirurgicales, par l'amélioration d'une pince qui porte son nom. En effet ce qui rendait les opérations difficiles, était le sang répandu qui masquait le champ opératoire.
En 1858, Charrière construisit une pince à pansement à arrêt. En 1864, Koeberlé de Strasbourg modifie cette pince par l'adjonction d'un clou pénétrant dans les orifices d'une branche horizontale. C'est Péan qui la modifie à nouveau plus radicalement en 1868, en remplaçant le clou et les orifices par des crans de sûreté plus faciles à manoeuvrer; il en confectionne plusieurs modèles (pince droite, pince en coeur, pince en T etc) afin qu'elle puisse s'appliquer à des situations multiples. La pince hémostatique à forcipressure était née.
Grâce à cette pince ainsi qu'à l'amélioration de l'anesthésie, le chirurgien peut opérer désormais sans que le champ opératoire ne soit masqué par le sang et les interventions les plus audacieuses peuvent être entreprises avec davantage de sécurité.

En outre Péan fait installer la première table chirurgicale orientable à l'hôpital Saint-Louis.

Ayant été l'élève de Marjolin qui était lui-même préoccupé par les questions d'hygiène, cette circonstance a sans doute renforcé l' inclination de Péan à la propreté. Pensant que les mains des chirurgiens ainsi que les instruments étaient les vecteurs de l'infection, il se lavait soigneusement les mains à l'eau courante et désinfectait lui-même son matériel à l'eau bouillante.
On dit aussi que depuis qu'il s'était blessé en disséquant un cadavre, pendant son prosectorat, Péan rebuté, ne pratiqua plus d'autopsies. Il ne prenait donc pas le risque de se couvrir les mains de germes avant d'opérer. De plus, il avait été l'élève de Marjolin qui était un maniaque de la propreté (tout comme Koeberlé), ce qui avait développé son propre penchant en ce domaine.
Enfin, il opérait, autant que possible, en dehors de l'hôpital où prédominait l'infection purulente et même la "pourriture d'hôpital".
Il opérait en habit avec plastron blanc et chapeau haut-de-forme et se tenait un peu à l'écart de l'opéré, bras tendus; les manœuvres opératoires se faisaient exclusivement à l'aide de pinces, en évitant à tout prix de toucher les plaies chirurgicales avec ses mains nues (les chirurgiens opéraient encore à mains nues, sans gants).

Koeberlé à Strasbourg, Péan à Paris sont parmi les premiers à oser ouvrir la cavité abdominale pour extirper des kystes de l'ovaire ou des fibromes utérins et à obtenir de bons résultats. Ils pratiquent tous les deux le drainage initié par Chassaignac en 1859, au moyen de tubes de caoutchouc perforés de manière à favoriser l'écoulement des sécrétions à l'extérieur du corps, ce qui améliora grandement leurs résultats.

La propreté et la limitation de l'hémorragie par l'utilisation des pinces hémostatiques alliées à une habileté manuelle ainsi qu'à une audace heureuse expliquent ses succès. Par contre il est plus difficile de comprendre les raisons pour lesquelles il fut contesté et de l'incroyable exclusion dont il fut l'objet. Chirurgien des Hôpitaux de Paris il ne fut jamais nommé professeur, ni admis à la Société de Chirurgie, devenue aujourd'hui Académie Nationale. Il fut finalement admis à l'Académie de Médecine en 1887 malgré l'opposition tenace et opiniâtre de ses collègues chirurgiens. Il ne reçut jamais aucune récompense officielle.

Etait-il jalousé? On prétend que son âpreté au gain était légendaire. Il est vrai que ses honoraires étaient parfois exorbitants. Il fit d'ailleurs fortune, mais en philanthrope et humaniste il fit construire à ses frais l'Hôpital International situé à l'entrée de la rue de la Santé. Cet hôpital de 50 lits était destiné à soigner tous les malades, y compris les pauvres et les indigents. Après sa mort il sera nommé l'hôpital Péan

Péan Leçon de Péanopérait en public et fit de nombreux prosélytes devant un auditoire attentif.
- Il réalise la première splénectomie (ablation de la rate) réussie en 1863
- En 1864, il réalise avec succès une des premières ovariectomies pour kyste.
- Dès 1868, il réalise des interventions sur la cavité abdominale avec hémostase systématique par l'emploi des pinces qu'il a mis au point.
- En 1879, il pratique pour la première fois la résection du pylore et de l'antre avec anastomose gastro-duodénale termino-terminale dans un cancer gastrique, son malade décèdera peu après ( cette intervention sera également réalisée avec succès un an plus tard par Billroth)
- En 1886, il pratique des morcellements des tumeurs et des kystes utérins.
- En 1895 il emploie une technique nouvelle pour l'ablation des diverticules de la vessie.
- Péan fut un précurseur dans l'implantation de prothèses. Il voulait éviter à ce que l'on recoure à des amputations systématiques courantes à l'époque.
-Il a été le premier à utiliser la voie vaginale pour extirper les lésions gynécologiques et à oser combiner voies abdominale et vaginale.
- Péan a décrit la maladie gélatineuse du péritoine, le pseudonyxome, qui pourrait s'appeler maladie de Péan.

Il fallut attendre le début du XXe siècle pour que les chirurgiens adoptent les gants en caoutchouc, blouses stériles, calots et masques, soit près de quarante ans après les travaux de Pasteur sur l'antisepsie.

Il semble qu'il soit un des initiateurs de la création des conférences de préparation aux concours d'externat et d'internat.

Quand Péan fut admis à la retraite, le samedi 24 décembre 1892, il prononça une allocution d'adieu à hôpital Saint-Louis que ses matinées opératoires du samedi avait rendu célèbre dans le monde entier.
Son discours était consacré aux progrès de la chirurgie pendant sa carrière et il est vrai que sa contribution n'était pas négligeable.
Pas une seule fois, ce précurseur de l'asepsie, ne prononce le nom de Pasteur ni le mot "microbe". Or trois jours plus tard, le mardi 27 décembre 1892, au grand amphithéâtre de la Sorbonne, vibre un immense public réuni pour fêter les 70 ans de Pasteur et une destinée prodigieusement accomplie. Pasteur entre au bras du Président de la République devant les applaudissements d'une foule enthousiaste et respectueuse, ce dont témoigne ce jour-là la présence des représentants des sociétés savantes du monde entier, des plus hauts personnages de l'état et du corps diplomatique.

Péan meurt à Paris le 30 janvier 1898.

Une rue, qui s'appelait autrefois rue Dunoise, porte son nom à Châteaudun depuis 1898.

Péan fut un brillant opérateur, il a contribué à étendre les indications des laparotomies. Il est à l'origine d'instruments et de procédés ouvrant la voie à la chirurgie moderne.